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Channel: Pascal Salin – Institut Coppet
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Thomas Piketty, Pour une révolution fiscale

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Notre système fiscal pris dans son ensemble est régressif. C’est le message que délivrent les auteurs de Pour une révolution fiscale (2011) – Camille Landais, Thomas Piketty et Emmanuel Saez. Il faut donc profiter de la campagne présidentielle pour ouvrir ce débat et rétablir un système fiscal juste et efficace.

France Culture : Le libéralisme est-il l’ennemi du capitalisme ?

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Pascal Salin était l'invité de Brice Couturier dans son émission Du Grain à Moudre le 4 avril. Un débat animé et controversé sur le thème : libéralisme vs capitalisme.

Et si on supprimait le FMI ?

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Il est étrange que le FMI - de même que la Banque mondiale - soit souvent présenté comme le symbole de la "mondialisation capitaliste", alors qu'il en est exactement le contraire, puisqu'il s'agit d'une institution publique représentant les États et qu'il est donc l'instrument d'un interventionnisme public et mondialisé.

Podcast de la conférence de Pascal Salin à l’Institut Coppet

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La conférence de Pascal Salin avait pour titre : "Monnaie unique, monnaies communes... quelles monnaies en Europe ?"

L’unité monétaire, au profit de qui ? (1979) par Pascal Salin

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Dés 1979, Pascal Salin utilisa sa plume pour pointer le chemin emprunté, des problèmes structurels d'un monopole légal dans la production de monnaie au choix du constructivisme préféré à celui de la concurrence pour "intégrer" les marchés monétaires.

Le rôle d’un actif de réserve composé et stable dans un système monétaire internationale rénové, par P. Salin, E. Claassen, G. Lane, Y. Fassassi (1970)

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D’une certaine façon, cette étude préliminaire marque le moment où P. Salin et d'autres se sont rendus compte des insuffisances du monétarisme à la lumière de l'économie autrichienne

« La théorie économique de Jacques Rueff », conférence de Pascal Salin

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En 45 minutes, Pascal Salin donne une présentation panoramique de la théorie économique de Jacques Rueff.

« Jacques Rueff au Trésor », conférence de Bruno Moschetto

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« Jacques Rueff au Trésor », conférence de Bruno MoschettoBruno Moschetto retrace le parcours de Jacques Rueff au Trésor aux grands moments de l'histoire monétaire du XXème siècle.

Entretien avec le professeur Pascal Salin, septembre 2013

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Entretien avec le professeur Pascal Salin, septembre 2013"La stratégie à utiliser consiste à saisir toutes les occasions possibles pour rétablir une analyse correcte des phénomènes. Et, bien entendu, une organisation comme l'Institut Coppet peut et doit y contribuer."

Le rôle désincitatif des impôts. Extrait de La tyrannie fiscale, le dernier livre de Pascal Salin.

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Pascal Salin a choisi un extrait de son dernier livre pour l'Institut Coppet. Une présentation approfondie par Stéphane Couvreur est en préparation.

« La tyrannie fiscale », par Pascal Salin

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Salin propose ici une introduction à l’économie politique de l’impôt, une réflexion sur l’éthique et la philosophie politique de la fiscalité.

Corentin de Salle. La Tradition de la Liberté. Tome III

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A travers les trois tomes de cette somme, il vise à montrer que le libéralisme est une philosophie intellectuellement cohérente et moralement respectable tandis que le capitalisme n'est rien d'autre que sa mise en application économique.

L’immigration dans une société libre, par Pascal Salin

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Le débat sur l’immigration étant relancé, nous avons pensé utile de republier la contribution de l’un des meilleurs libéraux français, Pascal Salin. L’Institut Coppet, fidèle à son ambition, n’entend pas par là choisir entre telle ou telle position dans ce débat, mais favoriser la diffusion et la confrontation des idées.


L’IMMIGRATION DANS UNE SOCIÉTÉ LIBRE

par Pascal Salin

Chapitre 11 du livre Libéralisme de Pascal Salin (Odile Jacob, Paris, 2000). Repris depuis Le Québecois Libre

Une société libre est une société où tout individu a le droit d’agir comme il l’entend, sans subir aucune contrainte, à condition qu’il respecte les droits légitimes des autres. C’est dire qu’une société libre est fondée sur la reconnaissance et la défense des droits de propriété. Ces principes sont-ils utiles pour définir une politique d’immigration? Bien entendu et c’est même parce qu’ils ont été oubliés qu’il existe un grave problème d’immigration. Dans ce domaine comme dans les autres, la véritable vision libérale consiste à rechercher les conséquences logiques des principes au lieu de vouloir agir directement sur les résultats d’une situation donnée. Mais encore faut-il que les principes soient correctement compris et les concepts soigneusement définis.

La liberté d’immigrer, un droit fondamental

Le point de départ d’une réflexion libérale sur l’immigration consiste à reconnaître la liberté d’émigrer et la liberté d’immigrer comme un droit de l’homme fondamental. Comment pourrait-on défendre le libre-échange, c’est-à-dire la libre circulation des marchandises et s’opposer par la force au libre mouvement des hommes? Ainsi, les barrières à l’entrée dans un pays – les interdictions d’entrée, les quotas d’immigration ou même la simple obligation de détenir un passeport et un visa – constituent une atteinte aux droits légitimes des gens. Par conséquent, aucun argument ne peut permettre de justifier les politiques d’immigration pas plus, bien sûr, que les politiques de limitation de l’émigration mises en place par tant de régimes totalitaires! La meilleure politique d’immigration consiste donc à ne pas en avoir.

Mais, dira-t-on, si l’on renonçait à toute politique d’immigration, si l’on supprimait tout contrôle aux frontières, notre pays ne risquerait-il pas d’être submergé par des hordes d’immigrants? Certainement pas, à condition que les droits de propriété légitimes des uns et des autres soient respectés.

Reprenons en effet la comparaison entre la liberté d’immigrer et la liberté des échanges. Comment peut-on définir la liberté des échanges? Elle signifie simplement que la puissance publique ne doit pas utiliser son monopole de contrainte légale pour opposer des obstacles à un échange désiré par les partenaires concernés. Elle constitue donc en quelque sorte une liberté négative.

La liberté des échanges ne signifie pas qu’on peut m’obliger à acheter ou à lire un livre que je ne veux pas lire (même si une majorité « démocratiquement élue » considère que j’ai tort…). Elle consiste à dire qu’on est libre de me le vendre (ou de refuser de me le vendre) et que je suis libre de l’acheter (ou de le refuser). Il en est de même pour ce livre vivant qu’est un immigrant: il doit être libre d’offrir ses services de travail, s’il le souhaite, n’importe où dans le monde; et les autres doivent être libres de les accepter ou de les refuser, quelles qu’en soient les raisons. La liberté de migration ne signifie donc pas qu’un « étranger » a le droit d’aller là où il veut, mais qu’il peut aller librement là où on veut bien le recevoir. Ce qui n’a pas de sens au fond c’est le critère de nationalité: il constitue une discrimination d’origine publique, de même que le protectionnisme traite différemment les produits nationaux et les produits étrangers. C’est cette discrimination légale qu’il convient de contester. Le refus de vente ou le refus d’acheter, le refus d’émigrer ou le refus d’accepter un migrant relèvent de la perception du monde par chacun et de sa propre morale. On ne peut pas imposer aux autres une morale de résultat. La morale c’est précisément de respecter les droits de chacun, y compris, par conséquent, les droits de celui qui refuse l’échange avec un « étranger ».

Dans un système de propriété privée, les droits de chacun sont conditionnels: on entre dans la propriété d’autrui à condition d’en respecter les règles et de payer le prix éventuellement demandé. Ainsi que nous l’avons vu, le droit de propriété se définit comme la liberté d’exclure autrui de l’usage du bien que l’on possède, quelles que soient les motivations de l’exclusion. Si le propriétaire d’une maison refuse de la louer à quelqu’un qu’il considère comme un « étranger » (parce qu’il vient d’un autre pays, qu’il a une couleur de peau différente, une autre culture ou une autre religion), si le propriétaire d’une entreprise refuse d’embaucher pour les mêmes motifs, cela peut nous choquer, mais nous devons reconnaître qu’ils en ont le droit. Ayons en effet l’honnêteté de l’admettre, nous passons notre vie quotidienne à définir des exclusions, car personne ne possède de droits illimités sur nos biens, notre personnalité et notre temps. Il faut donc accepter le droit d’un individu à refuser certains individus dans sa maison, dans son entreprise, dans sa copropriété, quelles qu’en soient les raisons, même si le refus tient à ce que ces individus sont perçus comme « étrangers ». C’est un fait: les êtres humains sont tous différents et chacun a ses préférences en fonction de critères impénétrables. C’est bien pourquoi nous avons des amis: avoir un ami c’est avoir quelque chose en commun avec autrui, mais c’est aussi exclure les autres des relations d’amitié. Si la loi était cohérente, elle devrait punir le fait d’avoir des amis – c’est-à-dire d’exclure les autres des relations d’amitié – puisqu’elle condamne ce qu’on appelle la « discrimination raciale ».

L’utopie libertarienne constitue à cet égard un modèle de référence indispensable. Il serait certes naïf de penser qu’elle est réalisable, tout au moins à court terme, du fait des résistances qu’elle rencontrerait de la part des pouvoirs établis, mais elle apporte à la réflexion les bornes utiles dont elle a besoin. Elle consiste à imaginer un monde structuré en un nombre immense de copropriétés que l’on peut appeler des « nations ». Chacune d’entre elles, différente des autres, exerce ses droits d’exclusion d’une manière qui lui est propre, mais entre aussi avec les autres dans divers rapports de coopération. On peut imaginer que certaines soient fondées sur un principe xénophobe en ce sens que leurs habitants interdisent l’entrée sur leur territoire de tous ceux qui appartiennent à d’autres « nations », que certaines mêmes soient racistes, mais que d’autres, au contraire, soient plus ouvertes, mais n’en exercent pas moins et nécessairement leurs droits d’exclusion (que ce soit à l’égard des voleurs, des braillards ou des extrémistes de toutes sortes).

Le concept de nation et son étatisation

La théorie libérale est fondée sur une conception réaliste de l’homme. Contrairement aux caricatures qu’on se complaît à en donner et selon lesquelles les êtres humains seraient vus comme des atomes séparés et même hostiles les uns aux autres, elle reconnaît donc comme un fait d’observation que l’homme est fondamentalement un être social. Tout être humain appartient à des sociétés plus ou moins grandes et il a un sentiment d’appartenance à ces groupes. La nation est l’un d’entre eux. Elle représente un ensemble de liens sociaux nés de l’histoire et qui s’expriment dans une culture, une langue le plus souvent, parfois une religion commune.

La nation relève donc de l’ordre spontané, elle est multiforme, évolutive et difficile à cerner. Elle est surtout le résultat de perceptions multiples, elles-mêmes différentes selon ses membres. C’est pourquoi il est erroné d’assimiler la nation à l’État qui est au contraire une réalité précise, institutionnalisée et même dans une large mesure extérieure à la nation. N’est-il d’ailleurs pas frappant de constater que c’est précisément à l’ère de l’étatisme triomphant – c’est-à-dire le XXe siècle – que l’on a vu ressurgir ce qu’on appelle les « nationalismes ». C’est bien le signe que les États ont imposé la création d’ensembles sociaux qui n’étaient pas spontanément perçus comme des « nations », mais auxquels ils se sont permis de donner ce nom.

La nation, nous l’avons dit, résulte d’un sentiment d’appartenance à une communauté et c’est pourquoi l’État-nation est une aberration: on ne peut pas étatiser des sentiments. Il se passe alors ce qui se passe chaque fois qu’il y a étatisation: l’État crée un monopole à son profit et le défend. Il lutte donc contre les particularismes régionaux, c’est-à-dire que l’État-nation détruit les nations spontanées. En témoignent, par exemple, les efforts faits en France, au nom de l’égalité républicaine, pour détruire les langues régionales au XIXe siècle.

L’État-nation est alors personnifié, ce qui facilite l’assimilation entre la nation et l’État. On dira par exemple que « la France décide » ou que « la France exporte ». Dans le premier cas, on laisse implicitement supposer que l’État français décide légitimement au nom de tous les Français et qu’il existe une sorte d’esprit collectif capable de penser et d’agir. Dans le deuxième cas, on laisse implicitement supposer que l’exportation serait un acte collectif, qu’elle exprimerait même un intérêt collectif et donc que l’État – expression de cet intérêt commun – serait habilité à la déterminer. Ce serait une saine habitude de pensée que de s’astreindre définitivement à éviter d’utiliser ces abstractions flottantes – la France, l’Allemagne, le Japon, l’Europe – et donc à indiquer explicitement quels sont les acteurs qui pensent et agissent. Il convient donc de dire non pas que « la France décide », mais que « le gouvernement français décide », non pas que « la France exporte », mais que des producteurs français exportent. Il apparaîtrait alors plus clairement, dans le langage même, qu’il existe non pas un intérêt collectif mythique, mais des intérêts bien particuliers, par exemple les intérêts de ceux qui détiennent le pouvoir ou les intérêts de ceux des producteurs qui exportent.

Mais l’usage de ces abstractions flottantes a un rôle bien précis. Il finit par induire l’idée non seulement qu’il y a assimilation entre l’État et la nation, mais même que la nation « appartient » à l’État, qui possède donc tout naturellement le droit de gérer le territoire national. À partir de là naît alors le mythe des biens publics, que nous dénonçons par ailleurs. La légitimation intellectuelle des biens publics consiste évidemment à dire qu’il existe par nature des biens et services qui peuvent être produits de manière « optimale » par l’État, alors qu’ils ne pourraient pas l’être par le secteur privé. Mais la réalité est toute différente: une fois que le territoire national a été étatisé, il apparaît comme naturel que le propriétaire de ce territoire ait la charge de son aménagement. Entre autres choses, c’est parce que le territoire national appartient non pas à la nation mais à l’État que les principes d’exclusion sont définis par l’État. On n’hésitera alors pas à penser que seul l’État peut faire procéder à des « expropriations pour cause d’utilité publique » afin de faire construire routes et aéroports, ou à considérer que la définition d’une politique d’immigration – c’est-à-dire des droits d’exclure les étrangers – constitue un service public que seul l’État est capable de produire de manière efficace et qu’il est même seul à pouvoir exercer légitimement en tant que propriétaire.

Les droits de propriété gérés par l’État ne se limitent pas à ce que les juristes appellent le domaine public, mais ils incluent une large partie des droits qui sont censés être laissés aux mains des citoyens. L’État, en effet, peut procéder à des expropriations, définir les droits de construire, installer les réseaux des prétendus « services publics » (distribution de l’eau, de l’électricité, du gaz, des télécommunications), construire des logements, prélever des impôts sur les propriétés, etc. Il en résulte que l’on peut parfaitement vivre en permanence sur un territoire presque totalement public d’où la définition de droits de propriété privés est pratiquement absente. À partir de ce moment-là, l’État devient très « naturellement » celui qui définit les droits d’exclusion à l’égard d’un territoire qui a été préalablement largement étatisé. Mais si la définition d’une politique d’immigration paraît être une responsabilité étatique – à supposer que l’on puisse admettre cette contradiction dans les termes que représente la juxtaposition des mots « responsabilité » et « étatique » – ce n’est pas parce que cela serait « naturel », mais parce que c’est une conséquence difficile à éviter d’une politique « artificielle » d’étatisation de la nation, de son territoire et, finalement, des citoyens.

Nous le verrons ultérieurement, l’idée selon laquelle les services d’éducation ou de santé, les services en réseaux (eau, gaz, électricité, télécommunications, transports) sont par nature des « biens publics », est une idée erronée. Mais elle est indispensable pour fournir des alibis et une sorte de légitimation intellectuelle à l’appropriation de la nation par l’État. C’est d’elle que vient le problème de l’immigration. En effet, tous ces « biens publics » sont produits de manière collectiviste, c’est-à-dire que leur véritable coût est caché. Ils sont fournis de manière gratuite ou tout au moins à prix réduit – par exemple du fait de la péréquation – à tous ceux qui se trouvent sur le territoire national, c’est-à-dire en réalité sur le territoire étatisé. De là vient en grande partie le problème de l’immigration. En effet, dans un univers où les rapports humains reposeraient totalement sur une base contractuelle, un « étranger » – pour autant qu’une telle notion ait alors un sens – ne viendrait sur le territoire de l’une de ces petites nations libertariennes que nous avons déjà évoquées que dans la mesure où cela serait mutuellement profitable aux parties en cause: l’immigrant potentiel devrait payer le véritable coût des biens et services qu’il utiliserait et il aurait donc à comparer le coût de son installation dans une autre « nation » à l’avantage qu’il en retirerait. Symétriquement, ses partenaires potentiels dans l’échange pourraient exercer leurs droits d’exclusion si l’échange envisagé ne leur paraissait pas souhaitable, qu’il s’agisse de vendre des biens, de signer un contrat de travail ou d’effectuer une location.

Par contraste, lorsque le territoire est étatisé, il est intéressant de venir bénéficier de tout ce qui est fourni à coût faible ou nul et de contribuer le moins possible au financement des biens publics en question. L’étatisation du territoire a donc une double conséquence: non seulement elle crée une incitation à immigrer qui, sinon, n’existerait pas, mais cette incitation joue uniquement pour les moins productifs, ceux qui reçoivent plus qu’ils ne fournissent, alors qu’elle décourage les immigrants productifs, ceux qui paieraient plus d’impôts qu’ils ne recevraient en biens publics. Comme toute politique publique elle crée donc un effet-boomerang. En effet, elle fait naître des sentiments de frustration de la part de ceux qui supportent les transferts au profit des immigrés et elle est donc à l’origine de réactions de rejet: le racisme vient de ce que l’État impose aux citoyens non pas les étrangers qu’ils voudraient, mais ceux qui obtiennent arbitrairement le droit de vivre à leurs dépens. À titre d’exemple, un article du Wall Street Journal de 1993 s’interrogeait sur le fait que l’immigration en provenance du Mexique était trois fois plus importante en Californie qu’au Texas en dépit d’une frontière commune avec le Mexique beaucoup moins longue et plus difficile à franchir illégalement. La raison de cette différence tient en partie au fait que le système de protection sociale est beaucoup plus développé en Californie qu’au Texas. Comme l’a déclaré un fonctionnaire du bureau de l’immigration et des affaires des réfugiés du Texas: « Il n’est pas possible ici de vivre de l’assistance. Les gens viennent ici pour travailler et non pour bénéficier de la protection sociale. Et ceci affecte l’attitude de nos résidents à l’égard des immigrants. Ils sont généralement considérés comme des travailleurs et non comme des bénéficiaires d’assistance. »

L’étatisation du droit d’exclure

Nous passons notre temps à discriminer, pour des motifs que les autres peuvent considérer comme bons ou mauvais, selon leurs perceptions et leur morale. Or le problème posé par l’immigration vient tout simplement du fait que l’État enlève arbitrairement aux individus le droit à la discrimination à l’égard de ceux qu’il définit lui-même comme des étrangers (à partir du critère de nationalité), mais qu’il s’attribue ce droit de discrimination, sous le nom de politique d’immigration. Établir des quotas d’immigration, des interdictions d’entrée sur le territoire national, n’est-ce pas définir des exclusions, n’est-ce pas du racisme public? De quel droit l’État se permet-il de décider de ce qui concerne mes relations privées? Si je souhaite, par exemple, recevoir chez moi tel intellectuel africain dont je me sens proche et si je ne désire avoir aucun contact avec tel Français qui défend des thèses inadmissibles pour moi et qui est pour moi un « étranger », pourquoi l’État français serait-il chargé d’exclure le premier et de tolérer le second?

C’est l’étatisation du droit d’exclusion qui crée le problème de l’immigration: l’État s’est approprié des droits fondamentaux qui appartiennent aux individus et qui ne peuvent appartenir qu’à eux, le droit de choisir et le droit d’exclure. C’est aux individus de définir jusqu’à quel point ils désirent vivre quotidiennement, au bureau, dans leur immeuble, dans leur famille, avec des hommes et des femmes qu’ils perçoivent comme des « étrangers », l’étranger pouvant d’ailleurs être aussi bien celui qui vient d’un village voisin que d’un pays éloigné, celui qui possède une éducation différente, celui qui appartient à une autre religion ou celui qui fait partie d’une autre profession. Le droit d’exclure ne peut résulter que du droit de propriété: mais qui est propriétaire, par exemple, de la France? En agissant comme les monopoleurs de l’exclusion, les autorités françaises s’affirment arbitrairement propriétaires de ce pays – et donc de ses habitants – alors que, en réalité, il existe sur le territoire national des millions de gens qui possèdent – ou devraient posséder – un nombre considérable de droits de propriété variés. Le problème de l’immigration n’est donc que le reflet du caractère flou de la définition des droits de propriété à notre époque et de la substitution de pouvoirs de décision publics à des pouvoirs de décision privés.

Dans le contexte actuel où le niveau d’immigration est défini globalement pour l’ensemble de la nation par le pouvoir politique, et où, par ailleurs, la « politique sociale » aboutit à subventionner l’immigration des moins productifs, certains, qui se disent favorables à l’immigration et proclament leur générosité par des discours contre le racisme, ne sont pas touchés directement par le phénomène; d’autres lui sont opposés, parce qu’ils voient leur environnement culturel et religieux se modifier profondément. N’ayant pas le moyen de décider eux-mêmes, ils en appellent à l’État pour résoudre leurs problèmes personnels qui deviennent ainsi des « problèmes de société ». Mais aucun compromis ne pourra jamais être trouvé entre les tenants de la « préférence nationale » et les chantres de la lutte contre le racisme. Seul en est enrichi le fonds de commerce des politiciens et des animateurs de télévision populaires qui trouvent ainsi matière à d’inépuisables débats.

Lorsque l’État devient le seul habilité à prononcer des mesures d’exclusion à l’égard de certaines catégories de personnes que l’on appelle des étrangers, il est soumis à des pressions contradictoires de la part de groupes organisés – éventuellement sous forme de partis politiques – dont certains demandent un renforcement des exclusions et d’autres demandent au contraire davantage de laxisme. Parce qu’on interdit à chaque citoyen de décider lui-même des exclusions éventuelles qu’il désire en ce qui le concerne, dans son habitat, dans son travail, dans sa famille, le problème devient un problème global et chacun ressent qu’il ne peut le résoudre qu’en en faisant un problème global. Bien évidemment, le « degré optimal d’immigration » n’étant pas le même pour tous, il ne peut pas y avoir de consensus sur le problème de l’immigration. Et comme cette question touche la vie quotidienne des gens, ces oppositions deviennent des problèmes politiques aussi sensibles qu’insolubles.

La définition d’une politique nationale d’immigration ne peut pas répondre aux voeux extrêmement subtils et diversifiés qu’exprimerait spontanément la population si elle était libre de le faire. Ainsi, il y a dans nos pays une distorsion de la structure de l’immigration par rapport à celle qui prendrait place dans une hypothèse de liberté individuelle. L’immigration « de mauvaise qualité » est encouragée parce que les immigrants peu formés ont d’autant plus intérêt à immigrer qu’ils bénéficient dans les pays développés de ce que l’on appelle les « avantages sociaux ». Ceux-ci consistent à prélever par la contrainte (l’impôt et les cotisations sociales) des sommes qui permettent de réaliser des transferts. Il en résulte qu’un immigrant peu formé reçoit, par exemple en venant en France, un ensemble de ressources, sous la forme de son salaire direct et de son salaire indirect, très supérieur à sa productivité, c’est-à-dire à ce qu’il produit.

Lorsque l’immigration est généralement considérée comme excessive, l’État prend alors des mesures restrictives à l’entrée, sous la pression d’une partie de l’opinion. Mais ces mesures ne peuvent être le plus souvent que générales. Elles aboutissent alors à refuser ou à limiter l’entrée de tous les immigrants, quels que soient leurs talents ou leur valeur humaine. Ainsi, un grand artiste, un intellectuel renommé ou un entrepreneur performant seront empêchés d’immigrer au nom d’un quelconque quota d’immigration ou d’une quelconque interdiction, même si leur entrée n’aurait pu rencontrer l’hostilité de personne! Certes, on connaît des exemples d’États qui ont défini des quotas d’immigration diversifiés par nationalité d’origine ou par profession, mais ces mesures sont généralement considérées comme discriminatoires et l’on préfère donc – comme cela est le cas en France – des mesures d’ordre général. Ainsi, l’immigration y est généralement interdite, mais certains – pas forcément les meilleurs – arrivent, comme toujours, à contourner la loi, en faisant officialiser une situation illégale, en se faisant passer pour des réfugiés politiques ou, tout simplement, en se faisant fabriquer de faux papiers d’identité.

Si l’immigration était totalement libre, au sens où nous l’avons précisé, mais si les individus avaient le droit d’exprimer librement leurs désirs d’exclusion et si l’État ne subventionnait pas indirectement l’immigration « de mauvaise qualité », l’immigration correspondrait exactement aux voeux des migrants, aussi bien qu’aux voeux de ceux qui les accueillent. C’est en ce sens que l’on peut dire que la liberté d’immigrer n’aboutirait pas au déferlement de hordes non désirées. Immigrer n’est pas facile et rarement souhaité par celui qui doit ainsi quitter sa famille, son village, sa culture et ses habitudes. Il le fait parce que la différence de niveau de vie est trop importante entre son pays d’origine et son pays d’accueil – probablement parce que l’État étouffe toute initiative dans son pays d’origine – et parce que, par ailleurs, il est « surpayé » dans le pays d’accueil du fait de la politique sociale.

Ainsi, l’émigration et l’immigration devraient être totalement libres car on ne peut pas parler de liberté individuelle si la liberté de se déplacer n’existe pas. Mais la liberté de se déplacer n’implique pas que n’importe qui a le droit d’aller où bon lui semble. Les droits de chacun trouvent en effet pour limites les droits légitimes des autres. Imaginons en effet à nouveau ce monde hypothétique où l’intégralité de la surface de la terre serait privativement appropriée (ce qui n’empêcherait évidemment pas les individus de constituer différents types d’organisations volontaires, par exemple des entreprises et associations, qui seraient propriétaires de certaines parties de l’espace). Seule serait exclue, dans cette hypothèse, l’existence d’un domaine public, de telle sorte que toutes les voies de communication, par exemple, appartiendraient à des propriétaires privés qui pourraient en faire payer l’usage par des procédés variés. La liberté de circulation n’impliquerait donc pas que n’importe qui aurait le droit d’entrer sur la propriété d’autrui sans son consentement, mais seulement qu’aucune autorité ne pourrait user de la contrainte pour empêcher un individu d’entrer sur la propriété d’autrui, s’il existe un accord mutuel entre lui et le propriétaire. Si par exemple, un natif d’une région du monde appelée Mali, souhaite vivre et travailler dans une ville qui s’appelle Paris et s’il trouve un propriétaire qui veut bien lui louer un logement, un entrepreneur qui souhaite signer un contrat de travail avec lui, des propriétaires de routes qui lui accordent le droit de circulation (gratuitement ou contre paiement), des épiciers qui lui vendent leurs produits, rien ne pourrait justifier qu’une quelconque autorité vienne interdire ces échanges mutuellement profitables.

Cette idée a des conséquences immédiates pour évaluer la situation actuelle, où il existe des nations et des autorités nationales. Au nom de quel principe une autorité légale française peut-elle légitimement interdire le territoire français au Malien que nous venons d’évoquer, alors même que tout le monde est d’accord pour entrer dans des arrangements contractuels avec lui? Il y a certes une différence entre la situation hypothétique précédente et la situation concrète de notre monde actuel, à savoir qu’une partie du territoire français – comme de tout autre pays – est censée appartenir au « domaine public ». Pourquoi en est-il ainsi? Comme nous l’avons déjà rappelé, on justifie généralement l’existence de ce domaine public par l’idée qu’il existe des « biens publics », c’est-à-dire des biens et services qui sont produits en quantité « optimale » s’ils font l’objet d’une fourniture par la contrainte (prélèvement obligatoire d’impôts et fourniture obligatoire) plutôt que par les procédures de l’échange.

On pourrait alors dire que, le domaine public constituant « par nature » un bien public, l’État en est le propriétaire naturel et qu’il peut se comporter comme n’importe quel propriétaire, c’est-à-dire exclure qui bon lui semble de l’usage de ces biens. Pourtant rien, dans la théorie des biens publics, ne permet d’expliquer pourquoi un bien auquel on accorde le label de « bien public » (une rue par exemple) pourrait être ouvert à certains et pas à tous, en fonction d’un critère qui peut être, par exemple, la race, la nationalité, la religion ou la culture.

Certes, le droit de propriété implique nécessairement le droit d’exclusion. Mais précisément, la théorie des biens publics enseigne que, dans certaines circonstances, il ne serait pas optimal de définir des droits de propriété privés et de produire des biens privés, c’est-à-dire des biens pour lesquels l’exclusion est possible. La justification même des « biens publics » – tout au moins pour ceux qui admettent que ces biens existent – consiste précisément à souligner que certains biens doivent être offerts à tous sans que l’on puisse individualiser l’usage qu’en fait chacun et le paiement correspondant et sans, par conséquent, que l’on puisse exclure quiconque de leur usage. Il y a donc contradiction entre le fait de légitimer le domaine public par l’existence des biens publics, c’est-à-dire par l’impossibilité de l’exclusion, et le fait d’accorder un monopole à l’État pour la définition d’un droit d’exclusion sur le domaine public et même, d’ailleurs, le domaine censé rester privé. Certes, le coût de la fourniture de ce bien est supporté – au moyen d’impôts – par l’ensemble des membres de la collectivité qui bénéficie de ce bien public. Mais un immigrant qui travaille et vit au sein de cette communauté paie des impôts comme les autres. Aucun principe de théorie économique, ni, bien sûr, aucun principe éthique n’autorisent alors à l’exclure de l’usage de ce qu’on prétend être un « bien public ».

Il faut donc réinterpréter la réalité du monde moderne. En prétendant que les biens publics existent et qu’il faut les produire par une procédure de contrainte publique, les hommes de l’État donnent une légitimation à l’exercice de leur pouvoir. En prétendant qu’ils produisent des « biens libres », c’est-à-dire disponibles pour tous, ils produisent en fait des biens dont ils s’accaparent la propriété, puisqu’ils s’accordent le droit d’énoncer les exclusions qui sont inhérentes au droit de propriété. Si, véritablement, ils se contentaient de produire des biens considérés comme des « biens publics », ils devraient les rendre disponibles à tous, sans distinction de nationalité, de race ou de religion et laisser les citoyens décider dans quelle mesure ils souhaitent établir des contrats avec des individus d’autres nationalités. Si certains individus désirent exclure d’autres individus parce qu’ils les perçoivent comme « étrangers », cela relève uniquement de leur éthique personnelle et aucune autorité n’a le droit de leur imposer un comportement conforme à une autre éthique. Comme nous l’avons déjà souligné, il faut avoir le courage de reconnaître que nous passons notre temps à faire des exclusions, mais ces exclusions ne sont légitimes que dans la mesure où elles sont la conséquence logique des droits de propriété.

La théorie des biens publics repose sur l’idée qu’il n’est pas toujours possible ou souhaitable de définir des droits de propriété. Mais, comme nous venons de le voir à propos de la politique d’immigration, cette théorie constitue purement et simplement un moyen de monopoliser les droits de propriété dans les mains d’un groupe d’hommes particuliers, les hommes de l’État. Ces derniers ont alors le moyen de substituer leurs propres exclusions à celles que les citoyens, dans leur immense diversité, souhaiteraient mettre en oeuvre. On imposera donc aux citoyens la présence de tel indésirable, sous prétexte qu’il est un réfugié politique, mais on les empêchera d’entrer en relations avec un être plein de sagesse et d’intelligence sous prétexte qu’il est un étranger. On se rend compte alors qu’en tant que propriétaires effectifs du domaine public, les hommes de l’État se rendent en réalité propriétaires de l’ensemble du territoire national: décider des exclusions, c’est être propriétaire.

Tout cela signifie évidemment que les problèmes d’immigration ne trouveront pas de solution aussi longtemps qu’on continuera à les traiter comme des problèmes collectifs. Toute décision publique concernant l’immigration sera en effet insatisfaisante, en ce sens qu’elle ne pourra pas se conformer aux voeux de ceux qui sont concernés. L’unique solution, conforme aux principes d’une société libre, consisterait évidemment à reconnaître la liberté d’immigration, à supprimer les encouragements indirects à l’immigration que provoque la « politique sociale » et à rendre aux individus la liberté de leurs sentiments et de leurs actes.

L’optimum de population

Pour exercer leur monopole d’exclusion, les hommes de l’État trouvent le soutien d’experts qui forgent des concepts fictifs. Tel est le cas de la théorie des biens publics, ainsi que nous venons de le voir. Mais tel est aussi le cas de la notion d’optimum de population. En fait, l’optimum de population étant défini de manière globale, il relève en un sens également de la catégorie des biens publics: de manière à ce que les habitants d’un pays puissent vivre dans une population dont la taille est « optimale », il faudrait évidemment que l’État exerce une fonction de régulation dans l’intérêt de tous, en particulier en pratiquant une politique familiale et en maîtrisant la politique d’immigration. Personne, individuellement, ne pourrait maîtriser ces phénomènes et tout le monde aurait donc intérêt à ce que l’État les prenne en charge.

Il devrait pourtant être généralement admis que l’optimum ne peut être défini que du point de vue d’un individu. Si, pour reprendre la situation hypothétique évoquée ci-dessus, les pays n’existaient pas et le monde était structuré en millions de propriétés et de petites copropriétés constituées sur une base volontaire et respectant évidemment la liberté d’entrée et de sortie, le phénomène de migration aurait un tout autre sens. Ainsi, il y aurait des copropriétés pratiquant l’exclusion à l’égard de certaines catégories raciales, religieuses, culturelles, d’autres qui ne pratiqueraient pas d’exclusion ou qui pratiqueraient la ségrégation sur d’autres critères. La densité de population serait forte dans certaines copropriétés, faible dans d’autres, en fonction de la perception individuelle de ce qu’est l’optimum. Dans une copropriété librement formée, on peut déterminer un optimum de population. Ce n’est évidemment pas le cas des nations actuelles.

On ne peut pas dire a priori qu’un pays quelconque est actuellement au-dessus ou en dessous de son « optimum de population ». Aucun critère, en effet, ne permet de définir un optimum collectif. Ainsi, on peut certes penser qu’une population plus importante facilite l’innovation et la spécialisation des tâches, mais on peut aussi penser qu’elle est à l’origine d’encombrements et de nuisances diverses. Qui peut arbitrer entre ces effets de sens contraire?

Le concept d’optimum de population n’a de sens que si on le conçoit comme un concept subjectif. Dans une société libre, les individus se déplacent vers les zones où la densité, d’une part, la diversité, d’autre part, de la population correspondent le mieux à leurs désirs et à leurs besoins. Une île déserte constitue le lieu de séjour rêvé d’un misanthrope et, pour lui, l’optimum de population est égal à un. Mais le Chinois qui émigre à Hong-Kong pour faire du commerce considérera sans doute que l’optimum correspond à une densité très élevée.

Un raisonnement « collectiviste » semblable à celui qui inspire la notion d’optimum de population inspire aussi la politique de contrôle des naissances dans certains pays pauvres. On considère qu’il y a un « gâteau » à partager et que le bien-être de chaque individu est d’autant plus grand qu’il y a moins de personnes pour le partager. Et pourtant ce « gâteau » est créé par l’activité des hommes. Des hommes plus nombreux peuvent produire un « gâteau » plus grand. Il convient, pour cela, de s’en remettre à la sagesse des parents, seuls aptes à décider de l’optimum de population de leur famille. Les millions de décisions prises par les parents sont interdépendantes, les gains et les coûts dus à la croissance de la population se reflétant en particulier dans les systèmes de prix (rémunération du travail, coût du logement, etc.). De ces processus spontanés résulte, dans une population libre, une certaine densité de population dont on ne peut pas dire qu’elle constitue un optimum collectif, mais qu’elle est le résultat de la recherche permanente de leur propre optimum par un très grand nombre de parents.

La politique de restriction à l’immigration (ou à l’émigration), comme la politique de contrôle des naissances, constituent des restrictions de la liberté individuelle au nom d’un prétendu intérêt général. C’est pourquoi il est important de débusquer tous les faux concepts collectivistes, y compris le taux de croissance national, le revenu national, l’optimum de population, la politique familiale, de même bien sûr que la notion de biens publics.

Ces concepts sont en fait inspirés par une vision mécaniciste et arbitrairement quantitativiste, malheureusement trop fréquente dans le domaine de la macroéconomie. Elle conduit à des propositions erronées, comme celles que nous venons de rencontrer. Cette vision conduit aussi, par exemple, à l’idée que l’immigration serait une cause de chômage, comme s’il existait un nombre limité d’emplois dans un pays, de telle sorte que tout nouvel immigrant prendrait un emploi existant et mettrait un « national » au chômage. De même est erronée – en tant que proposition générale – l’idée souvent exprimée selon laquelle la liberté d’immigration entraînerait une baisse du salaire réel. Ceci serait vrai si les processus de production étaient donnés et s’il existait un stock fixe de capital. On substituerait alors du travail au capital et la productivité marginale du travail diminuerait, donc sa rémunération. Mais l’immigration modifie les processus de production pour différentes raisons

Tout d’abord, les immigrants épargnent et créent donc du capital qui accroît la productivité du travail. Si l’on suppose que les immigrants épargnent exactement dans la même proportion que les nationaux, il y a simplement élargissement de la production. On peut même imaginer que le désir d’amélioration matérielle qui les a poussés à émigrer les pousse aussi à épargner davantage. Mais ceci est certainement plus vrai dans une situation où l’immigration n’est pas subventionnée – cas de l’immigration aux États-Unis au XIXe siècle où les immigrants voulaient prendre en main leur propre destin – que dans une situation où l’immigration résulte précisément du désir de vivre aux dépens des autres.

En deuxième lieu, les conséquences de l’immigration dépendent de la structure de l’immigration. Divisons les hommes en deux catégories: les innovateurs et les autres. S’il y a la même proportion des deux catégories dans la population des immigrants et dans la population d’accueil, l’immigration se traduit par un simple élargissement de la production, toutes choses restant égales par ailleurs, en particulier la productivité du travail et le salaire réel. Mais supposons qu’il y ait plus d’innovateurs parmi les migrants, parce que, normalement, les plus courageux et les plus imaginatifs prennent le risque d’émigrer (comme cela a probablement été le cas aux États-Unis): il y a alors accroissement de la productivité du travail et du salaire réel.

Les règles actuelles de l’immigration créent un problème spécifique de ce point de vue. En effet, l’immigration est en principe interdite, mais on laisse passer une immigration de « mauvaise qualité », composée en majorité de personnes qui ne sont pas des innovateurs. Cela résulte évidemment du système de subventions dites sociales qui modifie la rémunération relative entre les deux catégories, mais aussi du fait que les critères de la politique d’immigration n’ont rien à voir avec les capacités des hommes: on favorise le regroupement familial, l’installation de vrais ou de faux exilés politiques, on régularise la situation de clandestins. Un innovateur, pour sa part, ne cherche pas à vivre de subsides et il ne peut pas se contenter de vivre en clandestin. La politique d’immigration le décourage de tenter sa chance.

C’est donc dans la situation actuelle d’encouragement à l’immigration des moins productifs et de contrôle de l’immigration – et non dans le cas où il y aurait liberté d’immigration et moindre étatisation de la société – que l’immigration pèse sur les salaires réels. Et c’est donc dans cette situation que les migrants sont perçus à juste titre comme des concurrents sur un marché du travail où les conditions ne s’améliorent pas rapidement. Mais au lieu d’imputer la baisse du salaire réel à l’immigration, il conviendrait de l’imputer à la politique d’immigration et à la politique sociale.

Portée du principe de liberté dans le contexte actuel

La liberté totale d’immigration serait donc justifiée dans un monde qui ne serait pas étatisé. Cela implique que la meilleure politique d’immigration consisterait à désétatiser la société. Mais si l’on s’y refuse, comme c’est malheureusement le cas pour le moment, le principe de la liberté d’immigration peut-il être maintenu? Nous avons sans doute instinctivement peur de cette liberté et de ses conséquences. Comme l’a souligné avec force Michel Massenet, il existe un risque considérable que des masses affamées spéculent sur le sens moral des plus riches et déferlent dans leurs pays. On le constate donc une fois de plus, lorsque l’interventionnisme étatique produit des « effets pervers » – ce qui est nécessairement le cas – on est tenté de les éliminer par une nouvelle intervention étatique qui fait naître de nouveaux effets pervers. Ainsi, la « politique sociale » fait apparaître une immigration perçue comme excessive et non désirable, ce qui conduit à la mise en place d’une politique d’immigration, dont nous avons vu les effets néfastes.

Par ailleurs, étant donné que la nation elle-même est largement étatisée, il est tout simplement impossible de recourir à la liberté contractuelle: l’État décide à la place des individus. Un système de liberté contractuelle généralisée conduirait à une autorégulation de l’immigration et la liberté d’immigrer n’a de sens que dans ce cadre. Instaurer une totale liberté d’immigrer dans le contexte institutionnel actuel ne serait évidemment pas viable ni désirable. Ceci reviendrait par exemple à attribuer à tout individu dans le monde le droit non pas de contracter avec des Français, mais le droit de vivre à leurs dépens, ce qui n’est pas du tout la même chose.

Autrement dit, on ne peut pas reconnaître des droits de propriété étendus de l’État sur le territoire et sur les citoyens et ne pas accepter ce qui en est la conséquence logique, à savoir son droit à définir les exclusions sur le domaine dont il s’est rendu propriétaire. Et ce domaine inclut d’ailleurs les personnes mêmes des citoyens, puisqu’on admet à notre époque le droit illimité de l’État à s’approprier par l’impôt le produit de leur activité: de ce point de vue, l’État serait institutionnellement habilité à prélever des sommes illimitées au profit d’une immigration immense dans le cas où sa politique d’immigration serait très laxiste. Le problème de l’immigration est ainsi devenu purement et simplement un problème politique, soumis aux techniques de la décision politique.

Est-ce à dire qu’aucun changement n’est possible? Ainsi, certains, en particulier à gauche, sont favorables à la répression des opinions racistes et à l’attribution du droit de vote aux immigrés. Pour notre part, nous sommes en désaccord sur le premier point, mais pas sur le second, à condition de le préciser.

Il faut supprimer le délit de racisme, tout simplement parce qu’on ne peut pas punir quelqu’un pour ce qu’il a dans la tête. Chacun d’entre nous doit avoir le droit de penser du mal de son voisin – donc de ceux qui sont plus éloignés – et de le dire, les seules limites étant données par les convenances sociales. Toute attitude raciste me paraît insupportable et stupide, mais je ne me reconnais pas le droit de la punir. Plus généralement, toute attitude qui consiste à évaluer une personne humaine à partir de son appartenance à une catégorie arbitrairement définie me paraît insupportable et stupide, mais je ne me reconnais pas d’autre droit que celui de faire des efforts de persuasion. Ainsi, lorsqu’en 1996 le gouvernement Juppé a puni les médecins, par des sanctions financières, pour n’avoir pas limité davantage la croissance des dépenses de santé, il a bafoué les principes du Droit les plus élémentaires en introduisant un concept de responsabilité collective.

Si un individu A agresse un individu B, il doit en être puni car il a porté atteinte à ses droits légitimes, que l’agression soit motivée par des préjugés racistes ou par toute autre cause, par exemple le désir de voler. Mais si l’individu A pense du mal de l’individu B parce qu’il n’appartient pas à la même race que lui ou pour toute autre raison, il n’a pas à en être sanctionné. En effet, la sanction impliquerait que l’individu B a des droits sur l’esprit et la façon de penser de A, ce qui ne peut manifestement pas être vrai dans une société non esclavagiste.

Quant à la discussion sur le droit de vote des immigrés, elle est évidemment pleine d’arrière-pensées. La gauche en espère un nombre de voix plus important, tandis que d’autres s’inquiètent de l’augmentation des transferts qui pourrait en résulter, dans la mesure où les immigrés sont dans l’ensemble plutôt bénéficiaires de ces transferts que contributeurs. Or qu’est-ce qui détermine un droit de vote? La réponse est tout à fait claire lorsque les droits de vote sont liés aux droits de propriété. Ainsi, dans une société anonyme, les droits de vote sont proportionnels aux droits de propriété des actionnaires, de même que dans une copropriété. Dans le monde hypothétique de petites copropriétés qui nous sert de référence, un « étranger » qui serait admis dans une « nation » en tant que copropriétaire aurait évidemment les mêmes droits de vote que les autres (en proportion de ses droits de propriété). Les droits de propriété sont atténués dans un club ou dans une association, puisqu’ils ne sont pas individualisés. Si chacun bénéficie de droits de vote identiques, ce qu’il peut a priori retirer du club est également identique, de même que le montant de la cotisation (même s’il existe parfois des catégories différentes de membres, ayant d’ailleurs éventuellement des droits différents).

Le droit d’immigrer dans une nation ne peut pas être comparé à un droit de propriété dans une société anonyme ou dans une copropriété parce que personne n’est juridiquement propriétaire de la nation. La participation d’un citoyen est plutôt analogue à l’adhésion d’un membre à un club ou à une association. Comme dans celles-ci, chacun dispose dans l’État-nation d’un même droit de vote, mais, contrairement à elles, chacun contribue de manière différente. De là naît le problème pratique de l’immigration. Il n’y a pas de raison, en effet, de refuser le droit de vote à un immigré, c’est-à-dire le droit de participer aux décisions qui affectent sa communauté, à partir du moment où il a été admis dans celle-ci, c’est-à-dire que les membres de la communauté n’ont pas pratiqué l’exclusion à son égard. C’est en ce sens que nous sommes favorables à l’idée d’accorder le droit de vote aux immigrés. Comment, en effet, peut-on justifier le fait de prélever des impôts sur les immigrés qui créent des richesses dans un pays, mais leur refuser un droit que l’on accorde aux autres producteurs, le droit de décider de l’affectation de ces impôts?

Le véritable problème en réalité ne vient pas du fait que des immigrés puissent voter, mais du fait que les modalités pratiques du vote dans les démocraties modernes permettent aux électeurs d’imposer une redistribution des richesses entre catégories. Et c’est précisément la crainte qu’éprouvent ceux qui sont hostiles à l’attribution d’un droit de vote aux immigrés. Dans la mesure où chacun bénéficie d’une voix aux élections, quel que soit le montant d’impôts qu’il paie et quel que soit le montant de transferts qu’il reçoit, les électeurs ont intérêt à voter pour ceux qui pratiquent des transferts au profit de la catégorie à laquelle ils appartiennent. Dans la mesure où les règles actuelles favorisent l’immigration de ceux qui sont des bénéficiaires nets, en leur accordant un droit de vote on risquerait de renforcer l’asymétrie du système, ces nouveaux électeurs votant pour les politiciens les plus favorables aux transferts, ce qui accélérerait l’immigration. On entrerait donc dans un cercle vicieux, dans lequel l’État deviendrait de plus en plus proche de la définition qu’en donnait Frédéric Bastiat, c’est-à-dire « cette fiction par laquelle chacun s’efforce de vivre aux dépens des autres »: un nombre croissant de gens essaierait évidemment de vivre aux dépens des autres. Ceci étant naturellement intenable à terme, il en résulterait une démotivation des plus productifs, un appauvrissement général ou une stagnation définitive, et finalement bien sûr l’arrêt d’une immigration devenue non rentable.

Cela conduit à dire que le véritable problème n’est pas l’immigration ni l’attribution du droit de vote aux immigrés, mais le caractère inadéquat des procédures de décision. Le phénomène décrit provient de ce que le vote permet d’instaurer des transferts obligatoires entre catégories sans aucune limite et/ou du fait que le droit de vote est le même pour tous, alors que les contributions et les bénéfices sont très inégalement répartis. Il en résulte évidemment qu’il y a toujours possibilité pour une majorité d’individus d’essayer de spolier les autres des richesses qu’ils ont produites pour se les approprier. Il y a quelque chose de parfaitement immoral dans une procédure qui permet aux bénéficiaires d’un transfert de décider du montant de ce transfert, c’est-à-dire de ce que l’on va prendre aux autres. Pour limiter le jeu de ces incitations, on pourrait adopter des dispositions – par exemple de nature constitutionnelle – établissant des limites strictes aussi bien aux montants de prélèvements subis par les contribuables qu’aux montants des prestations reçues. Mais on pourrait aussi modifier les procédures de vote, par exemple en décidant que les droits de vote seraient proportionnels aux impôts payés par chacun. Si l’on adoptait la conception selon laquelle l’État serait le gérant d’un club constitué par la nation, chacun aurait un droit de vote identique, mais la cotisation perçue serait également la même pour tous. Ainsi disparaîtrait la tentation de prélever sur les uns pour transférer aux autres. Le droit de vote des immigrés paraîtrait parfaitement normal: ils seraient comme les autres contributeurs et bénéficiaires du « club ». En même temps la tentation de discriminer à leur encontre – donc la tentation « raciste » – disparaîtrait dans la mesure où leur appartenance à une catégorie spécifique – les « étrangers », les « immigrés » – ne serait d’aucune conséquence pratique pour les autres membres de la nation. Ici encore les discriminations dont peuvent être victimes les immigrés, aussi bien du point de vue de leurs droits de vote que de l’attitude des autres à leur égard, ne sont qu’une conséquence d’autres discriminations introduites par l’État, par exemple celle qui existe entre différents contribuables et celles qui existent entre différents bénéficiaires des transferts publics. Un État ainsi rééquilibré serait naturellement conduit à ne plus produire que des « biens publics », c’est-à-dire les services désirés par tous, pour autant qu’ils existent.

Bien sûr, une telle modification des règles de vote n’est pas acceptable pour tous ceux qui ont su ériger la démocratie absolue comme un tabou et un idéal moral intangible, c’est-à-dire tous ceux qui vivent des transferts qui en résultent, qu’ils en soient les bénéficiaires ou les distributeurs politiques, ou tous les intellectuels égarés qui légitiment le vol légal. Mais le fonctionnement de la démocratie absolue n’est, bien sûr, pas compatible avec l’attribution du droit de vote aux immigrés. Il faut choisir et reconnaître que la démocratie absolue est autodestructrice. Si on ne veut pas y renoncer, il est vain de croire que l’on pourra trouver des modes de régulation sociale acceptables. Nous le voyons à propos de l’immigration, nous l’avons vu et nous le verrons à propos d’autres « problèmes de société ».

Prenons, à titre d’exemple, le cas de l’école. Dans la situation actuelle d’un pays comme la France, l’école est gratuite, ouverte à tous et elle est censée favoriser l’intégration des nouveaux immigrés et de leurs enfants par apprentissage d’une culture commune. En fait, dans bien des cas, elle conduit à des situations de rejet, par exemple lorsque la proportion d’enfants appartenant à une culture différente est trop importante. Que se passerait-il dans un système d’écoles privées et payantes, les parents – ou certains d’entre eux -pouvant éventuellement payer les études de leurs enfants avec des « bons d’éducation »? Dans des écoles véritablement privées – contrairement aux caricatures actuelles par lesquelles on appelle « école privée » une école qui participe en fait au monopole public de l’Éducation nationale – les propriétaires d’une école pourraient, en tant que tels, exercer un droit d’exclusion et celui-ci devrait leur être laissé. On rencontrerait donc probablement des écoles appliquant des quotas d’élèves étrangers, des écoles ouvertes à tous, des écoles réservées aux enfants d’une certaine origine nationale, religieuse, ethnique ou raciale et même peut-être des écoles racistes. Une fois de plus, on peut être choqué de l’existence de ces dernières, mais n’est-ce pas aux parents – responsables de la naissance de leurs enfants – de décider de leur environnement? Pourquoi l’État – au nom de la nation – devrait-il être le producteur unique d’une culture nationale? Le mythe de l’intégration est en fait le mythe de l’intégration à une culture unique et contrôlée par l’État. L’école de la République est en réalité une machine à écraser les individualités, les langues, les traditions, à uniformiser les comportements. C’est l’intégration à un grand tout collectiviste et non la culture des spécificités d’où peut seul naître un véritable sentiment d’appartenance à la nation.

Nous soulignons par ailleurs la différence qu’il convient de faire entre l’intégration et l’unification (ou l’harmonisation). La tendance naturelle des gouvernants consiste à imposer des comportements, des attitudes, des règles identiques à tous les citoyens sous prétexte d’intégration sociale. Or celle-ci résulte de l’adaptation volontaire et continuellement changeante de tous les individus à leur société. La différenciation des individus n’empêche pas leur intégration à une société. Ils sont d’ailleurs les premiers bénéficiaires de l’intégration si celle-ci est bénéfique. Il faut donc leur faire confiance pour ressentir ce besoin d’intégration et pour prendre les voies qui leur paraissent les meilleures à cet effet. Tous ne la réaliseront pas de la même manière et au même rythme. Certains essaieront de se protéger dans le cocon de leur culture d’origine, d’autres essaieront plus rapidement d’adopter la langue, les coutumes, les comportements de leur communauté d’adoption. Ce désir d’intégration sera d’ailleurs d’autant plus intense que l’immigration ne résultera pas du simple désir de bénéficier du système de transferts du pays d’accueil, mais d’une démarche où celui qui reçoit doit aussi donner, c’est-à-dire d’une démarche d’ordre contractuel.

On peut enfin se demander s’il n’existe pas des solutions de marché au problème de l’immigration puisque, nous le disons suffisamment dans le présent livre, il existe toujours des solutions de marché à un quelconque problème. En fait, nous le savons aussi, ce n’est pas tellement la solution de marché qui importe que ce qu’on pourrait appeler « la solution de droits de propriété » et c’est précisément ce que nous avons souligné précédemment. Dans la mesure où la situation actuelle est caractérisée par une définition floue et insuffisante des droits de propriété, il est a priori impossible de trouver des solutions de marché satisfaisantes sans mettre en cause l’étatisation de la nation par l’État. Puisqu’il n’y a pas de droits de propriété, il n’y a pas de marché des droits (si ce n’est les ventes sur le marché noir de fausses cartes d’identité… ).

Cela dit, on peut cependant trouver des formules qui rapprochent du marché. C’est ce que fait Gary Becker lorsqu’il propose d’instaurer un marché des droits à immigrer (ou, éventuellement, des droits à acquérir une nationalité). Dans ce système l’État annonce chaque année la vente d’une certaine quantité de droits et un prix d’équilibre s’établit sur le marché. Ceux qui obtiennent les droits sont évidemment ceux qui valorisent le plus ces droits d’immigrer, c’est-à-dire ceux qui se croient les plus aptes à produire des richesses dans la nation d’accueil. Plus le système de protection sociale est généreux, plus les droits en question sont chers. Mais ils sont également d’autant plus chers que les opportunités d’enrichissement sont plus grandes.

Ainsi, l’État s’étant approprié la nation, il en vendrait l’usage – dans la solution de Gary Becker – à des non-nationaux. Ce système est certes préférable au système réglementaire, administratif et arbitraire qui prévaut actuellement, mais il est inférieur à un système de définition des droits de propriété et de relations contractuelles. On peut aussi penser qu’il serait préférable que les décisions concernant la venue d’immigrés soient prises à l’échelon le plus petit possible, c’est-à-dire par des personnes qui soient aussi près que possible de ceux qui sont directement concernés par l’immigration. Autrement dit, au lieu d’avoir une politique nationale d’immigration, il serait préférable, par exemple, que l’autorisation de séjour soit donnée au niveau des municipalités. On se rapprocherait ainsi quelque peu du modèle de petites communautés que nous avons évoqué à plusieurs reprises.

Un libertarien américain, Edward Crane (président du Cato Institute), a pour sa part proposé que l’immigration soit libre, mais que les immigrants n’aient pas le droit aux « bénéfices de la protection sociale ». Ainsi, d’après lui, étant donné que les immigrants seraient obligés de ne compter que sur eux-mêmes, il en résulterait que « dans l’espace d’une génération, les États-Unis auraient une culture d’immigration qui fournirait de meilleures écoles que celles de l’élève américain moyen, une plus forte proportion d’oeuvres charitables, moins de pauvreté, une meilleure éthique du travail, plus d’esprit d’entreprise et un système de retraite florissant en comparaison de celui de la Sécurité sociale ».

Un autre libertarien, Hans-Hermann Hoppe, professeur à l’université de Las Vegas, pense pour sa part que les hommes politiques n’ont pas beaucoup d’incitations à changer le système actuel dans les démocraties modernes. En effet, il leur importe peu que le système national incite les plus productifs à s’expatrier puisque tous les citoyens ne disposent que d’une voix aux élections. Par contre, « dans le court terme, le cossard qui vote pour des mesures égalitaristes, aurait plus de valeur pour le leader démocratique que le génie productif qui, en tant que première victime de la politique d’égalitarisme, voterait plutôt contre lui ».

On le voit donc, l’immigration met en cause absolument tous les problèmes d’organisation sociale, parce qu’elle met en cause les relations de chacun avec autrui et par conséquent le système économique et politique. C’est pour nous une invitation supplémentaire à nous interroger sur ces questions. Comme les pages précédentes l’auront sans doute montré, ce n’est pas l’immigration, par elle-même, qui est le véritable problème. Le problème c’est l’État.

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Cet article L’immigration dans une société libre, par Pascal Salin est apparu en premier sur Institut Coppet.

Frédéric Bastiat, fondateur de la science économique moderne ?

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201504201_salin1380  Pascal Salin a présenté au cours de l’hommage rendu à feu notre ami Jacques de Guenin, le mercredi 20 janvier 2016, son dernier ouvrage en date, Frédéric Bastiat, Père de la Science économique moderne. Une perspective iconoclaste sur laquelle le Professeur Salin a accepté de venir s’entretenir avec l’Institut Coppet.

  Grégoire Canlorbe : À première vue, le titre de fondateur de la science économique moderne (ou de la science économique en tant que science à part entière) semble revenir à Adam Smith, dans la mesure où le docteur écossais est à l’origine de deux idées centrales de l’économie moderne.

  D’une part, l’interdépendance du marché et de la division du travail, à savoir que l’étendue du marché détermine celle de la division du travail, et réciproquement. D’autre part, la supériorité cognitive de l’intérêt privé, exprimée à travers la métaphore de « la main invisible », à savoir que l’intérêt privé des capitalistes n’a pas seulement la vertu de les inciter à allouer leur capital de manière profitable pour l’industrie nationale ; il a également la vertu de permettre, à cette fin, l’usage d’une information locale et personnelle qu’aucun politicien ne saurait posséder à leur place. Ce point sera particulièrement enrichi par Destutt de Tracy et plus proche de nous, Friedrich A. von Hayek.

  En nous penchant sur le grand traité de Bastiat, Harmonies économiques, il semble bien que la première de ces deux idées Smithiennes plane sur toutes ses pages et vivifie toutes ses lignes. Elle constitue le socle de la démonstration par Bastiat des avantages mutuels de l’échange (libre et volontaire). À savoir que la division du travail est d’autant plus étendue et sophistiquée que les possibilités d’échange sont accrues et diversifiées (et vice-versa).

  « Le lecteur voit bien maintenant, écrit Bastiat au chapitre Échange, ce qui constitue la vraie puissance de l’échange. Ce n’est pas […] qu’il implique deux gains, parce que chacune des parties contractantes estime plus ce qu’elle reçoit que ce qu’elle donne. Ce n’est pas non plus que chacune d’elle cède du superflu pour acquérir du nécessaire. C’est tout simplement que, lorsqu’un homme dit à un autre: Ne fais que ceci, je ne ferai que cela, et nous partagerons, il y a meilleur emploi du travail, des facultés, des agents naturels, des capitaux, et, par conséquent, il y a plus à partager. À plus forte raison, si trois, dix, cent, mille, plusieurs millions d’hommes entrent dans l’association. »

  Il n’est pas anodin que cette analyse fasse suite à la récapitulation des gains de productivité de la division du travail établis par Smith quelques décennies auparavant.

  « Comment la faculté d’échanger a-t-elle élevé l’humanité à la hauteur où nous la voyons aujourd’hui? Par son influence sur le travail, sur le concours des agents naturels, sur les facultés de l’homme et sur les capitaux.

  Adam Smith a fort bien démontré cette influence sur le travail.

  « L’accroissement, dans la quantité d’ouvrage que peut exécuter le même nombre d’hommes par suite de la division du travail, est dû à trois circonstances, dit ce célèbre économiste: 1° au degré d’habileté qu’acquiert chaque travailleur; 2° à l’économie du temps, qui se perd naturellement à passer d’un genre d’occupation à un autre; 3° à ce que chaque homme a plus de chances de découvrir des méthodes aisées et expéditives pour atteindre un objet, lorsque cet objet est le centre de son attention, que lorsqu’elle se dissipe sur une infinie variété de choses. »

  Ceux qui, comme Adam Smith, voient dans le Travail la source unique de la richesse, se bornent à rechercher comment il se perfectionne en se divisant. Mais nous avons vu, dans le chapitre précédent, qu’il n’est pas le seul agent de nos satisfactions. Les forces naturelles concourent. Cela est incontestable. »

  Manifestement, Frédéric Bastiat marche dans les traces d’Adam Smith, qu’il développe, complète et peaufine, certes avec génie, mais sans mériter le titre de pionnier de son illustre prédécesseur. Aussi original soit-il vis-à-vis de Smith, il ne saurait être tenu à la place de celui-ci pour le fondateur de la science économique moderne. Il est plus probable qu’il soit celui qui ait donné à l’économie moderne ses lettres de noblesse, à défaut de l’avoir fondée.

  Pascal Salin : En intitulant mon petit livre sur Bastiat Frédéric Bastiat, Père de la science économique moderne, je ne prétendais pas suggérer que Frédéric Bastiat a été l’unique fondateur de la science économique ni le premier théoricien de l’économie dans L’Histoire des idées. Il aurait certes été peut-être préférable (mais moins joli pour un titre) d’écrire Frédéric Bastiat, un des Pères de la science économique moderne.

  Il est vrai qu’Adam Smith est très souvent considéré comme le « Père de l’économie politique », mais ce titre lui est contesté par exemple par Josef Schumpeter et par Murray Rothbard. Ce dernier considère en effet, d’une part qu’Adam Smith n’a pas été totalement innovateur par rapport à ceux qui l’ont précédé et, d’autre part, que sa contribution est moins importante que celle de Frédéric Bastiat, mais aussi de Jean-Baptiste Say; de Turgot ou de Destutt de Tracy. Ceci dit, il n’est pas question de nier l’influence considérable d’Adam Smith dans l’évolution de la pensée économique ni l’influence qu’il a pu avoir précisément sur Frédéric Bastiat. Il n’y a pas d’opposition fondamentale entre la pensée d’Adam Smith et celle de Frédéric Bastiat, mais peut-être plutôt des différences dans l’importance relative qu’ils attribuent à telle ou telle variable, à tel ou tel phénomène. Parmi les caractéristiques très importantes à mes yeux de l’approche de Frédéric Bastiat il y a le fait qu’il avait parfaitement vu que la science économique devait tenir compte non pas de ce qui est mesurable et visible, mais de ce qui est subjectif, ce qui est dans la tête des êtres humains et qui explique leur comportement et donc le fonctionnement d’une société. De ce point de vue il été un précurseur de ce qu’on appelle « l’école autrichienne d’économie », en particulier de Ludwig von Mises et Friedrich Hayek

  Ceci me conduit à un autre aspect de la question. Je dois en effet reconnaître que l’on peut contester le titre de mon petit ouvrage sur Bastiat d’un autre point de vue, car on peut effectivement se demander si la science économique moderne s’est bien développée dans la lignée de la pensée de Frédéric Bastiat. Or, je dois avouer qu’en choisissant ce titre, j’ai fait un peu ce que les anglo-saxons appellent du « wishful thinking ». En effet, la science économique moderne à laquelle je me réfère implicitement dans ce titre n’est malheureusement pas la science économique dominante, mais celle qui me semble mériter le mieux le titre de « science économique », à savoir celle qui s’est construite de manière rigoureuse et logique à partir de la reconnaissance du caractère subjectif de l’action humaine (pour reprendre le titre du grand ouvrage de Ludwig von Mises, L’action humaine). Et il est clair que, pour moi, c’est l’école « autrichienne » qui représente le mieux cette approche.

  Il existe dans la science économique une situation assez étrange. Tous les économistes commencent leur apprentissage par une approche individualiste, celle qui consiste à étudier le comportement du consommateur, puis le comportement du producteur. Pour ma part, je suis réticent à l’égard de cette distinction qui est faite entre le comportement du consommateur et le comportement du producteur, comme s’il y avait deux personnages différents, alors que la seule chose qui existe est l’action humaine. Mais, ceci dit, il n’en reste pas moins que l’étude de l’économie part de la prise en considération de l’utilité, c’est-à-dire de ce qui est subjectif. Mais à partir de cette base commune, la science économique diverge profondément : les économistes « autrichiens » restent fidèles à cette approche subjectiviste, alors que les économistes du « mainstream » se préoccupent d’obtenir des concepts mesurables car ils estiment qu’il n’est de science que du mesurable (comme cela est le cas pour les sciences naturelles ou physiques). J’ai essayé de repérer le point de divergence entre ces deux approches dans un texte dans un texte paru récemment[1].

  La science économique moderne n’est donc pas monolithique. La branche dominante – le « mainstream » – est certes éloignée des enseignements de Frédéric Bastiat, mais elle me paraît précisément critiquable parce qu’elle n’est pas fidèle à son fondement et je souhaiterais évidemment que la branche dominante soit la branche d’inspiration « autrichienne » (que l’on pourrait donc appeler la branche « austro-bastiatienne »…)

  Enfin, en parlant de science économique moderne, j’ai voulu aussi souligner que les raisonnements de Frédéric Bastiat permettaient de répondre de manière rigoureuse à des préoccupations contemporaines.

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Frédéric Bastiat (1801-1850) – Adam Smith (1723-1790)

  Grégoire Canlorbe : La loi des débouchés, une proposition empruntée à James Mill par Jean-Baptiste Say (et à sa suite, Frédéric Bastiat), affirme qu’il ne peut y avoir de déficience de la demande pour les biens de consommation (improductive), dans la mesure où l’accroissement de la portion du revenu national dédiée à l’épargne (et à la consommation dite productive), loin de porter atteinte aux débouchés (rentables) pour les biens de consommation, ne fait qu’altérer la composition du produit national.

  Du fait de la hausse de l’épargne, une quantité accrue de biens d’investissement et une quantité moindre de biens de consommation sont demandées ; mais cet accroissement de l’épargne, s’il a pour corollaire une baisse de la consommation, n’équivaut pas à un excès des biens de consommation offerts par rapport à la demande (solvable). En effet, les produits mis en vente, qu’il s’agisse des biens de consommation ou des biens d’investissement, s’achètent les uns les autres. Quelle que soit la part respective des biens d’investissement et des biens de consommation au sein du produit national, chaque marchandise est assurée de rencontrer la demande (au prix qui couvre les coûts); et ce, aussi longtemps que rien ne vient empêcher les produits de s’échanger les uns contre les autres.

  La loi des débouchés, virtuellement partagée par l’écrasante majorité des économistes classiques (et des économistes néoclassiques jusqu’à Keynes), constitue un argument à l’encontre de toute explication des crises économiques invoquant un surplus d’épargne (i.e., de consommation dite productive) et une insuffisance de consommation (improductive) à l’origine de l’effondrement de l’activité. Mais il ne s’agit pas pour autant de nier la possibilité des crises économiques. Leur cause est à rechercher dans tout ce qui est susceptible à un moment donné de venir briser le mécanisme de l’échange indirect (via lequel les produits génèrent en se vendant la demande de consommation ou d’investissement pour ces mêmes produits) : politique monétaire, interventionnisme et arbitraire étatique. Dans les termes de Bastiat, papier-monnaie, organisation artificielle et incertitude.

  La théorie pour ainsi dire moderne du cycle (que d’aucuns n’hésitent pas à qualifier comme une régression dans l’histoire des idées), issue des ouvrages de Keynes, s’intéresse pour sa part aux niveaux respectifs des grands agrégats économiques au détriment de toute approche structurelle (du mécanisme de l’échange indirect), ce qui est précisément le contraire de la démarche classique. À l’encontre de la loi des débouchés, elle situe l’origine des crises cycliques du capitalisme dans la déficience de la consommation. En ce sens, Bastiat ne saurait être tenu pour un « moderne » dans son approche de la conjoncture ; mais avec son acuité théorique et la fulgurance de son esprit d’analyse, il continue très certainement de donner du fil à retordre aux adeptes contemporains de la théorie keynésienne.

  Comment développeriez-vous les leçons intemporelles que nous pouvons tirer de Bastiat pour élucider les vices et mérites de la théorie « moderne » du cycle ? En particulier, de quelle manière préfigure-t-il la théorie autrichienne du cycle, concurrente de nos jours avec les diagnostics keynésiens, qui impute la responsabilité de la crise aux distorsions créées dans la structure de production par une politique monétaire expansionniste ?

  Pascal Salin : On peut trouver dans l’œuvre de Frédéric Bastiat une série d’arguments que l’on pourrait interpréter à notre époque comme des critiques de l’approche keynésienne. Pour prendre un exemple, dans son pamphlet sur la « vitre brisée » il raconte l’histoire d’un enfant qui joue au ballon et qui brise une vitre chez son père. Bastiat critique alors l’idée fréquente selon laquelle cela permet d’accroître la demande de vitres et de fournir du travail supplémentaire aux vitriers. Il explique qu’il existe en fait une perte nette qui correspond à la perte d’utilité pour le père du petit garçon, obligé de travailler plus pour payer la vitre ou de sacrifier l’usage de certains biens de consommation.

  Mais il serait évidemment excessif de dire que l’on peut trouver dans l’œuvre de Frédéric Bastiat une théorie du cycle proche de celle qui a été développée par les économistes « autrichiens ». Il était cependant très conscient des troubles apportés par une création monétaire excessive, plus précisément par la production d’une monnaie non gagée par des biens réels. On trouve ainsi des remarques fort intéressantes dans un échange de lettres qu’il a eu avec Proudhon et où il critique les propositions de ce dernier en faveur du « crédit gratuit » et de l’émission correspondante de monnaie (« fictive »).

  Ainsi, écrit-il, « Multiplier et égaliser les richesses sur la terre en y jetant une pluie de papier-monnaie, voilà tout le mystère. »

  « L’altération des monnaies, pouvant aller jusqu’à la monnaie fictive, c’est une invention qui n’est ni neuve, ni d’origine très-démocratique. Jusqu’ici cependant, on avait pris la peine de donner ou de supposer au papier-monnaie quelques garanties, les futures richesses du Mississipi, le sol national, les forêts de l’État, les biens des émigrés, etc. On comprenait bien que le papier n’a pas de valeur intrinsèque, qu’il ne vaut que comme promesse, et qu’il faut que cette promesse inspire quelque confiance pour que le papier qui la constate soit volontairement reçu en échange de réalités. De là le mot crédit (credere, croire, avoir foi). Vous ne paraissez pas vous être préoccupé de ces nécessités. Une fabrique inépuisable de papier-monnaie, voilà votre solution. »

  Frédéric Bastiat critique la proposition faite par Proudhon de confier à une banque nationale la tâche de distribuer du crédit gratuit à partir de l’émission de papier-monnaie. Il explique que les détenteurs de cette monnaie sont en quelque sorte obligés de faire une épargne involontaire pour financer les crédits distribués par la banque nationale.

  Il écrit ainsi : « Car enfin votre Banque n’aura pas la vertu de changer notre nature, de réformer nos mauvaises inclinations. Bien au contraire, et il faut reconnaître que l’extrême facilité de se procurer du papier-monnaie, sur la simple promesse de travailler à le rembourser ultérieurement, serait un puissant encouragement au jeu, aux entreprises folles, aux opérations hasardeuses, aux spéculations téméraires, aux dépenses immorales ou inconsidérées. C’est une chose grave que de placer tous les hommes en situation de se dire : « Tentons la fortune avec le bien d’autrui ; si je réussis, tant mieux pour moi ; si j’échoue, tant pis pour les autres. » Je ne puis concevoir, quant à moi, le jeu régulier des transactions humaines en dehors de la loi de responsabilité. Mais, sans rechercher ici les effets moraux de votre invention, toujours est-il qu’elle ôte à la Banque nationale toute condition de crédit et de durée. »

  Il est alors particulièrement intéressant de noter une conclusion de Frédéric Bastiat qui s’adresse ainsi à Proudhon : « Si votre Banque n’est qu’une fabrique de papier-monnaie, elle amènera la désorganisation sociale. Que si, au contraire, elle est établie sur les bases de la justice, de la prudence et de la raison, elle ne fera rien que ne puisse faire mieux qu’elle la liberté des Banques« .

  On retrouve ici un thème important qui a été si bien étudié par Friedrich Hayek, à savoir le plaidoyer pour la concurrence des monnaies et la liberté bancaire (qui permettrait précisément d’éviter les cycles économiques d’origine monétaire).

bpt6k202320j  Grégoire Canlorbe : Au chapitre trois des Harmonies économiques, intitulé « des besoins de l’homme », Bastiat exprime son hostilité véhémente au recours systématique à la formalisation mathématique, ce en quoi il déroge peu à la tradition méthodologique de l’économie de son siècle.

  « L’économie politique, écrit-il, n’a pas, comme la géométrie ou la physique, l’avantage de spéculer sur les objets qui se laissent peser ou mesurer ; et c’est là une de ses difficultés d’abord, et puis une perpétuelle cause d’erreurs ; car, lorsque l’esprit humain s’applique à un ordre de phénomènes, il est naturellement enclin à chercher un criterium, une mesure commune à laquelle il puisse tout rapporter, afin de donner à la branche de connaissances dont il s’occupe le caractère d’une science exacte. Aussi nous voyons la plupart des auteurs chercher la fixité, les uns dans la valeur, les autres dans la monnaie, celui-ci dans le blé, celui-là dans le travail, c’est-à-dire dans la mobilité même. »

  Depuis l’avènement des courants néoclassique et keynésien, la théorie dite de l’équilibre général, qui s’intéresse à des rapports de détermination réciproque des grandeurs, passe pour le nec plus ultra de la science économique, que ce soit en micro ou en macro ; et fait très précisément la part belle à cette hégémonie des mathématiques qui semblait inconcevable à Bastiat. Face au dédain généralisé de notre époque pour « la démarche littéraire » des économistes classiques, tenus de manière plus ou moins subreptice pour des pionniers superficiels voire des amateurs inconséquents, que rétorqueriez-vous en défense de la mise en garde de Bastiat ?

  Pascal Salin : Comme dans beaucoup d’autres textes, Frédéric Bastait nous livre ici une vision prémonitoire. Cela est particulièrement frappant parce qu’il ne connaissait pas à son époque le déluge de travaux statistiques caractéristiques de notre époque, de même que la prédominance des modèles mathématiques dans la science économique contemporaine.

  Je reconnais un mérite à la théorie de l’équilibre général, à savoir qu’elle fait prendre conscience – au cours de la phase de formation d’un économiste – de l’interdépendance générale qui existe entre les variables économiques. Cette prise de conscience serait utile, par exemple, pour évaluer les politiques économiques qui cherchent généralement à résoudre un problème partiel sans tenir compte des conséquences de ces politiques dans le système économique (d’où l’existence de ce qu’on appelle des « effets pervers »). Mais il faut bien se garder de prendre cette théorie pour une description correcte et exhaustive de la réalité économique. En effet, elle ne rend pas compte des aspects subjectifs et elle relève donc de la « prétention de la connaissance ». Elle rend mal compte de l’évolution des variables économiques parce que, ignorant précisément les projets et les connaissances des individus, elle est conduite à utiliser une approche mécaniciste qui n’a aucun rapport avec l’évolution effective des choses.

  Comme je l’ai déjà rappelé la fascination pour ce qu’on appelle les « sciences exactes » conduit la plupart des gens à penser que les sciences sociales doivent imiter la démarche des sciences exactes. Et c’est là qu’on rencontre le problème méthodologique fondamental. Les sciences exactes pratiquent l’empirisme logique, qui consiste à partir d’hypothèses a priori, l’essentiel étant d’aboutir à des propositions « falsifiables » (selon les termes de Karl Popper), c’est-à-dire des propositions que l’on peut confronter à la réalité. Pour que cette confrontation soit possible il faut évidemment aboutir à des propositions quantifiables, d’où le préjugé en faveur de ce qui est mesurable.

  Mais les économistes « autrichiens » adhèrent à juste titre à une autre approche méthodologique, « l’individualisme méthodologique » ou « a priorisme logique ». Il s’agit à l’inverse de partir d’hypothèses conformes à la réalité concernant la nature des êtres humains (par exemple leur caractère rationnel) et à en déduire logiquement des propositions qui ne peuvent pas nécessairement être confrontées à la réalité parce qu’elles ne sont pas quantifiables, mais qui n’en sont pas moins valables si le raisonnement a été poursuivi correctement. Il est clair que Frédéric Bastiat, même s’il n’a pas exprimé les choses dans ces termes, se rattachait à cette démarche méthodologique et de là vient sa critique justifiée à l’égard de l’usage des mathématiques et de la recherche de ce qui est mesurable.

  Une démarche scientifique doit évidemment être rigoureuse. Mais ce qui est nécessaire n’est pas la rigueur formelle – celle des mathématiques – mais la rigueur conceptuelle. De ce point de vue on doit dire que Frédéric Bastiat a bien eu une démarche scientifique. Mais ceux qui s’attachent uniquement à la rigueur formelle ont tendance à le considérer uniquement comme un idéologue, un journaliste ou un conteur d’histoires. Ils ont évidemment tort. Parce qu’il avait bien compris les ressorts de l’action humaine et qu’il savait raisonner de manière rigoureuse, Frédéric Bastiat devrait être considéré comme un modèle pour la science économique.

  Grégoire Canlorbe : Dans son ouvrage polémique de 1999 sur la mondialisation, Maurice Allais formule un certain nombre de griefs envers la théorie ricardienne des coûts comparés et évoque à cette occasion « la pétition des marchands de chandelle ».

  Selon Allais, la théorie des coûts comparés, qui étudie les effets de l’ouverture au commerce international lorsque les facteurs de production sont immobiles (et que seuls les produits finis sont échangés entre les pays relativement plus développés et relativement moins développés), n’a pas cette portée universelle qu’on lui prête généralement. Autrement dit, il arrive sous certaines circonstances que la conclusion du modèle se vérifie, selon laquelle les spécialisations nationales (en fonction des avantages comparatifs de chaque pays) entraînées par l’adoption du libre échange concourent à augmenter le niveau de vie moyen de chaque pays. Mais il arrive aussi que cette conclusion ne se vérifie pas.

  La condition d’applicabilité de la théorie ricardienne consiste à ce que les coûts comparatifs restent invariants au cours du temps. Cette donnée se vérifie effectivement dans le cas des ressources naturelles ; les pays producteurs de pétrole ou les nations tropicales disposent d’un avantage comparatif qui restera le même dans l’avenir prévisible. Mais aucun avantage comparatif ne saurait être détenu de manière permanente dans le domaine industriel. À cet égard, la diminution ou la disparition de certaines industries dans les pays développés (en raison d’une ouverture au libre échange avec les pays peu développés) pourrait à terme se révéler désavantageuse, dans la mesure où les conditions de la production, en particulier les coûts de la main-d’œuvre, non seulement s’avèrent entièrement différentes dans les pays peu développés mais se modifient considérablement avec le temps.

41K48DM9Q6L  Sans attaquer frontalement le sophisme de Bastiat, préférant lui rendre un hommage ambigu, Allais s’exprime en ces termes à propos de la pétition des marchands de chandelle.

  « Le modèle considéré par la théorie des coûts comparés de Ricardo de 1817 repose sur une hypothèse essentielle, savoir que la structure des coûts comparés (c’est-à-dire des fonctions de production) reste invariable au cours du temps. Tel est précisément le cas du sophisme de Frédéric Bastiat. La pétition des marchands de chandelle n’a aucun fondement, car les avantages de la lumière solaire sont permanents et ils ne changeront pas dans l’avenir. Le sophisme de Bastiat est ici éclairant et convaincant [sans qu’on ne puisse pour autant généraliser la conclusion de Bastiat en faveur du libre échange aux cas de figure où les coûts comparatifs ne sont pas invariants dans le temps.] »

  En effet, en cas de non-invariance des coûts comparés, les avantages comparatifs d’aujourd’hui pourraient disparaître demain, cette disparition rendant nécessaire à terme la restauration des activités précédemment supprimées (alors que le savoir-faire et le capital ont été perdus). Selon vous, comment Bastiat aurait-il répondu à Maurice Allais ?

  Pascal Salin : Il est, bien sûr, difficile, de se mettre à la place de Frédéric Bastiat, mais, même s’il ne l’aurait pas exprimé de cette manière, il me semble que son raisonnement aurait été le suivant. La théorie des coûts comparés n’est qu’une application particulière d’une théorie beaucoup plus générale, qui est la théorie de l’échange. Cette théorie est appliquée à l’échange entre des personnes situées dans des pays différents et elle fait l’hypothèse particulière qu’il y a immobilité des facteurs de production et mobilité des biens. Or la théorie générale de l’échange nous apporte la leçon irréfutable suivante : lorsqu’il existe des différences entre des individus (en ce qui concerne leurs capacités productives ou leurs besoins), l’échange est possible et nécessairement profitable. Le gain de l’échange est subjectif et non mesurable (de telle sorte que nous avons ici une illustration du fait qu’une proposition peut être scientifique et irréfutable, même si l’on ne peut pas la vérifier empiriquement).

  Maurice Allais a souvent dit que la théorie des coûts comparatifs de Ricardo était contestable parce qu’elle correspondait aux conditions de production de l’époque où Ricardo écrivait. Mais il avait tort de l’interpréter ainsi puisque, comme je viens de le dire, elle n’est qu’une illustration spécifique de la théorie de l’échange (ce qu’Allais ne voyait pas). C’est aussi à tort que l’on reproche à la théorie des coûts comparatifs de supposer des conditions invariantes. On le comprendra en se plaçant à l’échelle individuelle.

  À un moment donné du temps un individu se spécialise dans une activité productive et obtient par l’échange ce qu’il désire. Mais, bien sûr, les conditions changent continuellement. Or personne n’a une connaissance parfaite des changements futurs de son environnement, mais chacun choisit à tout moment d’agir en fonction de ce qu’il perçoit pour le présent et le futur. Bien sûr, il arrive à tout le monde de se tromper et de regretter une décision antérieure, mais il n’en reste pas moins que, lorsqu’une décision est prise, elle correspond pour un individu à la maximisation de son bien-être (sinon il ne la prendrait pas).

  Dans la mesure où il faut du temps pour changer une activité productive, la spécialisation d’un individu à un moment donné peut ne pas être la meilleure pour lui dans le futur, mais il n’y a aucune raison de penser que quelqu’un le sait mieux que lui. Il en va de même pour l’échange international : l’échange est le résultat de tous les choix faits par des millions d’individus, compte tenu de leurs différences de capacités productives, d’informations et d’aptitudes à prévoir le futur. Mais il est absurde de dire que la théorie des coûts comparatifs est statique; elle ne l’est pas plus que la théorie de l’échange. Mais l’information n’est jamais parfaite.

  Ceux qui – comme Maurice Allais – critiquent la théorie des coûts comparatifs sous prétexte qu’elle est statique – et qui préconisent en conséquence un certain protectionnisme, ce qui a été malheureusement le cas d’un Maurice Allais qui se prétendait libéral – supposent implicitement que les dirigeants politiques ont une meilleure information que tous les individus de la population mondiale et que la perfection de leur information leur permet de déterminer les spécialisations optimales et donc des politiques protectionnistes optimales. Frédéric Bastiat n’aurait évidemment pas été d’accord avec cela, car il avait compris remarquablement la théorie de l’échange et le comportement humain.

  Qu’on me permette d’ajouter une remarque : Je suis certes critique à l’égard de certains aspects de la pensée de Maurice Allais. Mais puisque nous parlons de Frédéric Bastiat, j’en viens naturellement à penser à notre ami Jacques de Guénin, décédé récemment et qui a tellement travaillé pour faire connaître l’œuvre de Bastiat, qu’il admirait beaucoup. Mais il avait aussi une certaine reconnaissance à l’égard de Maurice Allais qu’il avait eu comme professeur à l’Ecole des Mines et qui lui avait ouvert des horizons nouveaux[2]. Ceci signifie qu’il existe des voies variées pour construire son propre univers intellectuel. Mais ceux qui rencontrent l’œuvre de Frédéric Bastiat très tôt bénéficient d’un privilège.

Jacques de Guenin, fondateur du Cercle Frédéric Bastiat

  Grégoire Canlorbe : Bastiat développe (ou reprend à son compte) une distinction relativement méconnue entre morale religieuse et morale économique.

  Ainsi qu’il l’écrit au chapitre deux de la seconde série des Sophismes,

  « la morale religieuse, pour arriver à la suppression de l’acte malfaisant, s’adresse à son auteur, à l’homme en tant qu’agent. Elle lui dit: « Corrige-toi; épure-toi; cesse de faire le mal; fais le bien, dompte tes passions; sacrifie tes intérêts; n’opprime pas ton prochain que ton devoir est d’aimer et soulager; sois juste d’abord et charitable ensuite. » […]

  La morale économique aspire au même résultat, mais s’adresse surtout à l’homme en tant que patient. Elle lui montre les effets des actions humaines, et, par cette simple exposition, elle le stimule à réagir contre celles qui le blessent, à honorer celles qui lui sont utiles. Elle s’efforce de répandre assez de bon sens, de lumière et de juste défiance dans la masse opprimée pour rendre de plus en plus l’oppression difficile et dangereuse.

  […] Que les deux morales, au lieu de s’entre-décrier, travaillent donc de concert, attaquant le vice par les deux pôles. Pendant que les économistes font leur œuvre, dessillent les yeux des Orgons, déracinent les préjugés, excitent de justes et nécessaires défiances, étudient et exposent la vraie nature des choses et des actions, que le moraliste religieux accomplisse de son côté ses travaux plus attrayants mais plus difficiles. Qu’il attaque l’iniquité corps à corps; qu’il la poursuive dans les fibres les plus déliées du cœur; qu’il peigne les charmes de la bienfaisance, de l’abnégation, du dévouement; qu’il ouvre la source des vertus là où nous ne pouvons que tarir la source des vices, c’est sa tâche, elle est noble et belle. »

  L’œuvre de Bastiat en général, et ces quelques lignes en particulier, ne sont-elles pas la preuve éloquente que le libéralisme classique, malgré ce que ses adversaires peuvent en dire, ne s’apparente ni à un relativisme moral (qui ne reconnaîtrait pas d’autre valeur objective et universelle que la liberté) ni à une doctrine scientiste (qui tiendrait la science pour le guide moral de l’humanité) ?

  Pascal Salin : Reprocher au libéralisme classique ou bien de conduire au relativisme moral ou bien d’être une doctrine scientiste est effectivement dépourvu de sens. Le libéralisme est en effet à la fois une méthode d’analyse et une éthique. C’est une méthode d’analyse car il consiste à penser – ce qui devrait être évident – qu’on ne peut comprendre le fonctionnement d’une société qu’en ayant une vision réaliste de ce qu’est un être humain, de sa nature profonde, de son comportement. L’éthique libérale, pour sa part, implique qu’il existe un devoir universel, celui qui consiste à respecter les droits légitimes de chacun. Bien sûr, chacun d’entre nous possède par ailleurs ses propres principes de morale personnelle concernant la manière de se comporter avec autrui. Ces morales personnelles sont très respectables, à condition cependant qu’elles ne soient pas incompatibles avec l’éthique universelle du respect des droits légitimes d’autrui.

  On peut souligner par ailleurs – pour rejoindre la pensée de Frédéric Bastiat – que les valeurs libérales sont des valeurs chrétiennes ou sont, tout au moins, totalement compatibles avec elles. Ainsi, c’est le christianisme qui a permis l’émergence de la liberté individuelle dans le monde occidental. Avec le christianisme, comme avec le libéralisme, l’homme n’est pas qu’un rouage dans la grande machine sociale, mais une personne qui mérite le respect en tant que telle.

  Libéralisme et christianisme partagent un socle commun du point de vue des valeurs universelles. Mais, bien sûr, dans ce cadre général chacun peut développer ses propres conceptions morales. Ainsi, le christianisme considère l’altruisme comme une vertu. Mais ceci n’a rien d’incompatible avec le libéralisme. En effet un libéral doit être intransigeant avec le devoir universel consistant à respecter les droits d’autrui, mais il n’a pas la prétention de suggérer une conduite particulière aux êtres humains, par exemple de leur suggérer – ou, encore moins, de leur imposer – un comportement altruiste ou égoïste vis-vis de telle ou telle personne ou catégorie de personnes. Il considère que cela relève de la responsabilité personnelle et qu’il est de son devoir de respecter ces morales personnelles aussi longtemps qu’elles ne viennent pas en contradiction avec le devoir universel de respect des droits d’autrui.

  Comme l’a bien vu Frédéric Bastiat, la science économique ne préconise pas une morale particulière et elle ne s’oppose pas à la morale religieuse. L’une et l’autre poursuivent des objectifs différents, mais elles sont parfaitement compatibles.

  Je vous remercie pour cet entretien. Comme d’habitude, c’était un travail délicat car vos questions sont exigeantes et précises (à juste titre évidemment).

Hommage à Jacques de Guenin, par Pascal Salin et Philippe Nataf

[1] Chapitre 16 (« The Gap between Austrian Economics and the mainstream ») dans mon livre, Competition, Coordination and Diversity – From the Firm to Economic Integration, Cheltenham-UK, Northampton-USA, Edward Elgar, 2015

[2] Jacques de Guénin explique clairement ce qu’il doit à Maurice Allais et à Frédéric Bastiat dans un texte au titre significatif, « Œcuménisme économique », dans L’homme libre, Paris, Les Belles Lettres, 2006.

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Podcast de la conférence de Pascal Salin à l’Institut Coppet

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« Monnaie unique, monnaies communes… quelles monnaies en Europe ? »
Pascal Salin, 22 juin 2011

Les difficultés financières rencontrées par certains pays – ou, plutôt, par les gouvernements de certains pays (Grèce, Portugal…) –  ont fait renaître les interrogations sur le rôle de l’euro. C’est ainsi qu’on défend souvent la thèse qu’il n’est pas possible de faire coexister dans une même zone monétaire des pays aux structures économiques trop différentes et que l’euro prive les pays membres de la possibilité de faire une politique monétaire indépendante ou même de la possibilité d’effectuer des variations de taux de change. Cette thèse est en fait très discutable, mais il convient cependant de rechercher la portée exacte de l’unification monétaire européenne telle qu’elle est pratiquée. D’autres voies étaient en effet possibles et restent possibles. Parmi elles celle qui consiste à faire de la monnaie européenne non pas la monnaie unique des Européens, mais une monnaie en concurrence avec les autres – une monnaie commune – utilisable par ceux qui la préfèrent aux autres monnaies existantes. Mais il faut aller plus loin et s’interroger sur le modèle des systèmes monétaires de notre époque caractérisé par le monopole public de la banque centrale. Dans tous les domaines d’activité, la concurrence est préférable au monopole. Pourquoi cela ne serait-il pas vrai pour la monnaie ?

2011.06.22 Conf Pascal Salin


Et si on supprimait le FMI ?

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Dans les manuels d’histoire de terminale, on peut lire que le FMI serait une institution libérale… C’est ce qu’on apprend à nos enfants.  Pascal Salin*, dans Atlantico, le site d’informations en ligne, dans un article sur le FMI réfute ce lieu commun et associe le FMI au keynésianisme.

Extrait :

« On a souvent déclaré dans les jours récents que Dominique Strauss-Kahn avait heureusement accru le rôle du FMI à la suite de la crise financière, en augmentant ses moyens d’action et en pratiquant une politique d’inspiration keynésienne, c’est-à-dire une politique de relance par la demande. Or, la crise ne résultait en rien d’une insuffisance de demande, mais au contraire d’un excès de création monétaire dans le monde. Le retour à la stabilité n’implique pas des politiques laxistes, mais bien au contraire une réduction des déficits publics et des politiques monétaires plus strictes. »

et il ajoute :

« On peut enfin noter qu’il est étrange que le FMI – de même que la Banque mondiale – soit souvent présenté comme le symbole de la « mondialisation capitaliste », alors qu’il en est exactement le contraire, puisqu’il s’agit d’une institution publique représentant les États et qu’il est donc l’instrument d’un interventionnisme public et mondialisé regrettable. Il faut donc souhaiter la disparition du FMI. »

* Pascal Salin est Professeur émérite à l’Université Paris – Dauphine. Il est docteur et agrégé de sciences économiques, licencié de sociologie et lauréat de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris.

Ses ouvrages les plus récents sont Français, n’ayez pas peur du libéralisme, Paris, Odile Jacob, 2007; Revenir au capitalisme pour éviter les crises, Paris, Odile Jacob, 2010.

Le 22 juin, M. Salin donnera une conférence pour l’Institut Coppet à Paris sur le thème : « Monnaie unique, monnaie commune… quelles monnaies en Europe ? ». Si vous souhaitez participer à cet événement, merci de nous contacter dès maintenant  : info@institutcoppet.org

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Entretien avec Alain Madelin

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  Régulièrement, l’Institut Coppet va à la rencontre de personnalités se réclamant du libéralisme, afin d’explorer tous les courants de cette pensée et d’en rendre compte au mieux. Cette série d’interviews ne vise pas à promouvoir une vision du libéralisme plutôt qu’une autre mais à offrir une plongée en apnée dans la richesse et la diversité des différentes visions à l’œuvre. Les propos tenus dans cet entretien n’engagent pas la responsabilité de l’Institut. Nous n’entendons pas plus les promouvoir que les pourfendre. Condorcet disait : « Il faut tout enseigner, tout savoir, tout comprendre. »

d4b2fba777d9717  Avocat de formation, Alain Madelin a exercé plusieurs fonctions gouvernementales de tout premier rang, notamment ministérielles : Ministre de l’Economie et des Finances (1995), Ministre des Entreprises et du Développement économique, PME, Commerce et Artisanat (1993), Ministre de l’Industrie, de l’Energie, des Postes et Télécommunications et du Tourisme (1986).

  Dans le cadre de ces fonctions, il a mené des réformes dans plusieurs secteurs de l’industrie, des services et de la finance (énergie, aérien et aérospatial, télécoms, automobile)  et en a ainsi acquis une connaissance approfondie. Il a également initié le statut d’auto-entrepreneur et créé le seul vrai fonds de pension français au bénéfice des entrepreneurs individuels (loi Madelin).

  Ses cabinets ministériels ont été des pépinières actives ; on retrouve aujourd’hui ses anciens collaborateurs à des niveaux élevés de responsabilité dans un nombre important de grandes entreprises françaises.

  Il est aujourd’hui associé fondateur de Latour Capital.

  Grégoire Canlorbe : La doctrine, dit-on, fait naître l’unité de pensée ; elle nous inspire une même manière de vivre et de mourir, et nous rend intrépides et inébranlables dans les malheurs et dans la mort. Pourriez-vous nous rappeler les circonstances de votre rencontre avec la doctrine de la liberté et les raisons de votre décision d’en adopter les préceptes ?

  Alain Madelin : Ma découverte de la pensée libérale n’a pas été un parcours facile, car elle s’est faite à une époque – que les hommes d’aujourd’hui ont du mal à imaginer – où cette doctrine de la liberté était totalement refoulée tant à l’université que dans les médias et bien sûr le discours public. Mon premier engagement politique fut un engagement contre le totalitarisme de mon époque, c’est-à-dire le communisme. Ce fut tout d’abord un engagement viscéral – et j’ajouterai même « sportif » – qui m’a poussé à en comprendre les raisons et donc à tirer le fil de la pensée libérale. Mais j’ai aussi eu la chance de faire des rencontres exceptionnelles, de travailler, parallèlement à mes études, dans une bibliothèque extraordinairement riche (l’Institut d’Histoire Sociale), et de livres en livres, de notes de bas de page en notes de bas de page, de donner progressivement cohérence à une pensée libérale alors totalement méconnue.

  Au lendemain de mai 68, j’ai eu la chance de participer à la première semaine de la pensée libérale, qui fut, me semble-t-il, la première étape d’une reconquête intellectuelle et politique qui prendra beaucoup de temps. Plus tard, chargé de la formation au sein des Républicains Indépendants – la formation politique alors sans doute la plus libérale – j’ai poursuivi ce travail de mise en forme, enrichi par la fréquentation de la talentueuse équipe dite des nouveaux économistes (Pascal Salin, Henri Lepage, et bien d’autres). C’est dire que ces rencontres avec la pensée libérale ont largement transcendé le gauche-droite de la politique traditionnelle, et que dès l’origine, elles ont reflété cette cohérence philosophique, juridique, politique et économique qui caractérise la pensée libérale.

Alain Madelin, aux côtés de Henri Lepage,
le jeudi 24 mars 2016, à l’Assemblée nationale

  Grégoire Canlorbe : « Il y a dans le génie français, écrivait François Guizot dans son Histoire générale de la civilisation en Europe, quelque chose de sociable, de sympathique, quelque chose qui se répand avec plus de facilité et d’énergie que dans le génie de tout autre peuple : soit notre langue, soit le tour particulier de notre esprit, de nos mœurs, nos idées sont plus populaires, se présentent plus clairement aux masses, y pénètrent plus facilement ; en un mot, la clarté, la sociabilité, la sympathie sont le caractère particulier de la France, de sa civilisation, et ces qualités la rendaient éminemment propre à marcher à la tête de la civilisation européenne. » Diriez-vous qu’à l’heure actuelle, ces quelques lignes ont gardé au moins une certaine pertinence ou que la France a bel et bien perdu son aura ?

  Alain Madelin : C’est une belle citation que celle de Guizot. Le génie français qu’il exalte est flatteur mais daté. Le dix-neuvième siècle qu’est celui de Guizot est celui de la France des droits de l’homme qui a longtemps exporté (fût-ce au travers de la colonisation) ses idéaux et qui est vécue comme une part du génie français. Ce qui est sûr, c’est que ce dix-neuvième siècle a vu fleurir une extraordinaire école libérale française, enrichie par la beauté de la langue et la force de la logique – la rhétorique – alors enseignée à part entière. Que l’on songe à Bastiat, Benjamin Constant, Dunoyer, Destutt de Tracy, Jean-Gustave Courcelle-Seneuil, ou encore, à la jonction du vingtième siècle, l’extraordinaire et trop méconnu Émile Faguet.

  Aujourd’hui, on assiste, après l’apport des « nouveaux économistes » (Pascal Salin, Henri Lepage, Jacques Garello), à l’émergence d’une nouvelle école libérale, pleine de talents, à l’exemple de Mathieu Laine et de moins renommés mais non moins excellents contributeurs à l’école libérale tels que ceux qu’on peut lire chaque jour sur Contrepoints ou sur l’Institut Coppet.

  Grégoire Canlorbe : Au vu du comportement violent du prophète lui-même et des sources islamiques, le Coran et les hadiths, prises à la lettre, il semble difficile de voir en l’Islam une religion favorable aux libertés individuelles. L’expérience des sociétés musulmanes traditionnelles depuis plus d’un millénaire est là pour en témoigner. Malgré cela, vous tenez à affirmer que la charia bien comprise est la matrice d’un État de droit libéral ; et vous faîtes volontiers l’éloge de la finance islamique. Pourriez-vous revenir à ce sujet et expliciter le sens et la portée de vos déclarations islamophiles ?

  Alain Madelin : Au lendemain de la chute du mur de Berlin, qui constitue une vraie victoire et un renouveau des droits de l’homme chers aux libéraux, je me suis interrogé sur les risques totalitaires qui pouvaient encore nous menacer ; et je me suis interrogé sur l’Islam qui me semblait déjà faire planer une menace d’obscurantisme. Avec Henri Lepage, nous avons alors conduit une longue réflexion à portée internationale pour mesurer la compatibilité de l’Islam avec le modernisme et la modernité. C’était, et cela reste, une question essentielle. Si l’on pense que l’Islam est incompatible avec la modernité, l’État de droit et les droits de l’homme, alors c’est une guerre de civilisation qui nous menace, avec même l’exigence d’éradiquer l’Islam. Fort heureusement, nous avons conclu autrement, en trouvant dans l’Islam une compatibilité avec notre modernité et les principes universels du vivre ensemble qui sont ceux du libéralisme.

croisade_4_01  Je sais bien qu’aujourd’hui, une telle affirmation paraît audacieuse, mais je laisse imaginer ce qu’aurait répondu un Martien en visite sur Terre, au moment des croisades ou de la Sainte Inquisition si on l’avait alors interrogé sur la compatibilité du christianisme avec les droits de l’homme. Les Croisades n’ont pas été de pacifiques pèlerinages, mais des bains de sang. L’Inquisition, ses tortures et ses bûchers, seraient jugés aujourd’hui comme des actes barbares.

  Le problème de l’Islam aujourd’hui, c’est qu’à côté d’un Islam volontiers tourné vers la modernité – et la finance islamique est un exemple d’accommodement de la Sharia avec les principes économiques modernes – il existe un Islam obscurantiste. La modernisation de l’Islam se fera, mais assurément, nous traversons une bien mauvaise période.

Si je dis qu’elle se fera, c’est qu’au-delà de cette réflexion des libéraux sur l’Islam, conduite avec Henri Lepage, je me souviens d’avoir mené des discussions profondes avec de bien austères ayatollah shiites, pendant de longues réflexions nocturnes sur ce que pourrait être une constitution islamique pour l’Irak. « Comment pourrions-nous accepter », me disaient-ils en substance, « que la loi des hommes soit supérieure à la loi de Dieu ? » « Vous avez bien raison », disais-je, pour faire avancer le dialogue. « Nous-mêmes ne disons pas autre chose, nous plaçons une loi supérieure au-dessus de la loi faite par les hommes, à savoir les droits de l’homme. Certains disent qu’ils ont été apportés par Dieu ; d’autres, ce qui est mon cas, disent qu’ils ont été découverts par l’usage de la raison. »

  La question est donc d’extraire à partir du Coran les principes supérieurs que l’on doit placer au-dessus du législateur. Toutes les religions ont en commun ce que les Anglo-saxons appellent la « règle d’or », c’est-à-dire une morale de la réciprocité (bien vue d’ailleurs par David Hume et Adam Smith) que l’on peut résumer de façon positive : « fais à autrui le bien que tu voudrais qu’il te fît », ou de façon négative : « ne fais pas à autrui le mal que tu ne voudrais pas qu’il te fît ». Bien entendu, on retrouve cette approche dans l’Islam, et c’est à partir de cette approche qu’on a construit les droits de l’homme.

  Je me souviens aussi d’avoir conclu une grande enquête du Figaro qui avait interrogé les principaux représentants des grandes religions, catholique, protestante, judaïque, et islamique, sur le libéralisme. J’ai de bonne foi, alors, dû conclure que le plus proche du libéralisme c’était l’Islam, et en second, le Judaïsme, du moins au regard des textes publiés. Il est vrai que l’Église catholique n’aime guère le libéralisme, qu’elle a longtemps « condamné comme un péché », et que les droits de l’homme n’ont été pleinement reconnus qu’en 1960.

  Ce serait une grave erreur que d’identifier l’Islam à sa minorité radicalisée (ou aux radicaux qui s’islamisent), comme à sa version obscurantiste dans certains pays. Bonne nouvelle, une récente étude d’opinion nous montre que l’immense majorité des jeunes en terre d’Islam condamne ces versions radicales et obscurantistes. Mais l’hostilité vis-à-vis de l’Islam se nourrit aussi de l’affirmation, dans notre hexagone, d’un Islam contraire à nos moeurs et coutumes, et parfois arrogant dans cette contestation. Bien entendu, cet Islam-là doit être combattu. Et je pense même que le libéralisme, parce qu’il constitue un ordre social fort de coutumes et de règles implicites qui permettent la coexistence pacifique des individualités et des groupes, a sans doute beaucoup à dire sur ce point.

  Grégoire Canlorbe : Un principe qui vous tient à cœur depuis longtemps est notamment l’autonomie des établissements scolaires, ce qui vous incite à reconnaître une certaine légitimité à la réforme du collège actuellement mise en œuvre. Le reproche de nivellement par le bas formulé par la droite et la plupart des libéraux vous semble-t-il infondé pour autant ?

  Par ailleurs, quel serait, à vos yeux, l’idéal à atteindre en ce qui concerne le retrait de l’État vis-à-vis de l’instruction publique et de la formation ?

  Alain Madelin : J’ai effectivement salué la très timide avancée du gouvernement dans le sens de l’autonomie des établissements scolaires. C’est d’ailleurs une constance chez moi, que de me féliciter des mesures, aussi modestes qu’elles soient, qui vont dans une direction libérale. Et l’autonomie des établissements scolaires est un élément clef d’une conception libérale de l’éducation. Je me souviens d’un rapport du Collège de France demandé par François Mitterrand au lendemain de 1980 qui concluait déjà à l’exigence de cette autonomie ! Je suis désespéré du temps perdu dans la mise en œuvre de cette autonomie.

  Une réforme libérale souhaitable, c’est à la fois l’autonomie des établissements et la liberté de choix des parents de l’école de leurs enfants, une autonomie qui doit être accompagnée d’un financement des établissements proportionnel au nombre d’élèves accueilli, quitte à la corriger pour tenir compte d’une sujétion scolaire. Nous avons là tous les éléments d’un marché concurrentiel de l’école et de la formation, une forme de chèque éducation, auquel j’ai consacré un livre, Libérer l’école, en 1984.

  Condamner le nivellement par le bas, c’est bien, mais il faut bien reconnaître que ce nivellement par le bas est le fruit de tous les gouvernements de gauche et de droite depuis des décennies. Et perdure hélas toujours aujourd’hui l’idée que les dysfonctionnements de l’école pourraient être réglés par une énième réforme d’ensemble promue par un ministre plus intelligent que les autres.

  Nous touchons là un problème que l’on retrouve dans la plupart des malfaçons publiques. Ce qui est en cause ici, c’est le système même de fonctionnement de l’école. Je refuse de faire des enseignants les boucs émissaires d’un système qui les enferme. Pour expliquer cela, j’ai longtemps pris l’exemple suivant : imaginez un peuple, coupez-le en deux, mettez un mur au milieu, avec à l’ouest, une économie responsable de marché, et à l’est, une économie étatisée ; laissez reposer pendant quarante ans, enlevez le mur, et observez la différence. Cet exemple, bien sûr, est celui de l’Allemagne. Des deux côtés du mur, nous avons le même peuple allemand, mais d’un côté, nous avons les règles de la libre économie de marché, et de l’autre, un État planificateur et oppressant. Ce qui fait la différence, ce sont bien les structures économiques et les institutions.

  Cette histoire vaut aussi pour l’éducation, et c’est donc de la réforme des structures qu’il faut attendre la réponse à tous ces maux qu’on dénonce. Qu’il me soit permis d’ajouter que la réforme libérale de l’éducation conduit à un système éducatif plus juste. Et je m’appuierai ici sur la définition de la justice que nous a donnée John Rawls, volontiers considéré comme social-démocrate, accepté par une partie des libéraux – dont Hayek – et détesté par d’autres.

  Je résume à ma façon son approche. Imaginez que vous soyez derrière un voile d’ignorance quant à votre position sociale (une situation voisine de celle du spectateur impartial développée par Adam Smith dans sa Théorie des sentiments moraux). Ou sous une autre forme, imaginez que vous ayez à concevoir le système éducatif le plus juste avant qu’une grande loterie ne décide de votre position sociale, héritier des Bettencourt ou fils ou fille d’immigrés. Choisiriez-vous le système d’assignation à résidence qui est celui des enfants des cités ghetto dans des écoles ghetto ou choisiriez-vous le système libéral d’une concurrence émulatrice des écoles et du libre choix de l’école de vos enfants ? Aux États-Unis, les minorités donnent la réponse. Elles plébiscitent le système du chèque-éducation.

logo  J’ajouterai aussi que nous devons tenir compte de l’extraordinaire mutation de l’école qui se dessine. Nous ne subissons pas une crise, nous subissons une mutation, dans tous les domaines, y compris celui de l’école. Le numérique à l’école va permettre de mobiliser l’intelligence collective des meilleurs enseignants, de faire émerger les meilleures pratiques, pour construire un enseignement personnalisé.

  La connaissance numérique est, en effet, un bien d’un type nouveau. Elle constitue un bien public au sens juridique du terme, c’est-à-dire qui ne vous appauvrit pas quand vous le partagez. Un bien reproductible à court marginal nul. Un bien qui se construit grâce à l’intelligence de la multitude. Le métier d’enseignant, l’école elle-même, les programmes, ont vocation à subir un choc de mutation beaucoup plus brutal que le choc Uber sur les taxis. À sa manière, « l’École de la Liberté » s’inscrit dans cette mutation.

  Grégoire Canlorbe : « La manipulation consciente, intelligente, des opinions et des habitudes organisées des masses joue un rôle important dans une société démocratique. Ceux qui manipulent ce mécanisme social imperceptible forment un gouvernement invisible qui dirige véritablement le pays. » À vos yeux, comment se fait-il que ce soit, de nos jours, l’idéologie socialiste qui tire profit du « mécanisme » totalitaire dépeint par Edward Bernays dans Propagande ? Quelle stratégie permettrait aux libéraux de prendre (à nouveau) les commandes de ce pouvoir « invisible » et de manipuler l’opinion en leur faveur ?

  Cela commence-t-il par infiltrer le discours contemporain de la gauche, en sorte de faire passer des mesures libérales sous le couvert d’un socialisme moderne et éclairé – sensible à la mutation de nos sociétés industrielles et de leurs superstructures politiques vers une civilisation de la connaissance ?

  Alain Madelin : Je n’aime guère ce thème de manipulation, car il suppose l’existence d’un grand Satan dissimulé. Ce qui existe, c’est la concurrence des idées ; et les idées dominantes, celles qui ont une influence considérable sur les Français et sur la classe politique, changent avec le temps. Je vous ai dit que les idées dominantes de ma jeunesse étaient les idées socialistes, avec une complaisance extrême vis-à-vis du communisme. Nous avons vu ensuite les idées social-démocrates, puis celles des orphelins du communisme et du socialisme, au lendemain de la chute du mur de Berlin, qui, après avoir cru aux « lendemains qui chantent », se sont reconvertis, notamment au travers de l’écologie, dans les visions apocalyptiques du capitalisme et de la société libérale.

  Aujourd’hui, je dirais qu’on assiste à l’installation d’idées populistes, réactionnaires, protectionnistes, et étatistes. Et face à la montée de ces idées bien sûr antilibérales, les libéraux ont hélas un désavantage comparatif : les démagogues usent de raccourcis, s’appuient sur des images, additionnent des sophismes, et à temps de parole égal, les idées simplistes qu’ils égrènent nécessitent, pour une vraie réfutation pédagogique, dix fois, cinquante fois, ou cent fois plus de temps.

  Et pourtant, cette bataille des idées est essentielle. Je me souviens d’Émile Faguet, qui dans la conclusion d’un de ses livres, Le Libéralisme, écrivait : « Les Français ne sont pas libéraux, mais beaucoup de Français disent aux hommes politiques, soyez libéraux, et les hommes politiques répondent aux Français, ah non ! soyez les plus nombreux, vous les libéraux, et je vous garantis bien que je serai libéral, d’ailleurs je ne pourrai pas faire autrement. »

  Quant à dire que les libéraux devraient infiltrer ou manipuler les discours de gauche, je ne souscris pas à cette idée. En revanche, les libéraux doivent contribuer à réveiller le libéralisme de la gauche. Car n’oublions pas que la gauche et les libéraux ont des racines communes, et effectivement, le paysage politique serait transformé s’il existait vraiment des libéraux de gauche. Voilà qui, au surplus, contribuerait à décomplexer la nécessaire mutation libérale de la droite.

Alain Madelin : « Zemmour a compris que Macron
est le fils caché de Cohn-Bendit et moi-même »

  Grégoire Canlorbe : Dans les années 1990, vous avez patronné et préfacé un cycle de conférences visant à revenir Aux sources du modèle libéral français. Au plan historique et intellectuel, pourquoi est-il si important, selon vous, de renouer avec les racines proprement françaises (plutôt qu’anglo-saxonnes) du libéralisme ?

  Alain Madelin : Les Français envisagent et critiquent souvent le libéralisme comme un produit d’importation, qui plus est d’importation anglo-saxonne. C’est pourquoi je pense qu’il est extrêmement important de montrer qu’il existe un libéralisme « made in France » et au-delà, de renouer, dans cette période de mutation profonde, avec les racines libérales qui transcendent le clivage gauche-droite traditionnel. L’affirmation libérale de la souveraineté de l’individu était commune avec la gauche individualiste et fédéraliste jusqu’à ce que celle-ci ne soit phagocytée par le socialisme marxiste.

  À ce titre, je salue l’émergence et l’activité de l’Institut Coppet. Je salue d’ailleurs tout particulièrement le travail de redécouverte du philosophe Alain, volontiers inscrit à gauche et injustement méconnu, que Jérôme Perrier a réinscrit avec talent dans la tradition libérale.

  Grégoire Canlorbe : Depuis la Révolution Française, il est de bon ton parmi les milieux intellectuels, politiques et journalistiques d’accréditer l’idée, fictive ou avérée, d’une évolution de l’Occident vers l’anomie juridique et morale. Quoique la plupart des défenseurs de la libre économie de marché et de la démocratie au sens de Tocqueville, i.e., la société juridiquement égalitaire, souscrivent à cette opinion en vogue sur l’évolution des mœurs, envisageant le « despotisme doux » de la social-démocratie comme le symptôme du mode de vie consumériste et égotiste des masses et de leur désaffection pour la chose publique, il existe une certaine tradition de pensée libérale pour qui les choses n’en vont pas de même.

220px-augustinthierry  « Il faut que chaque citoyen, écrivait à cet égard Augustin Thierry dans un article de 1818 pour le Censeur européen, s’il veut mériter ce titre, loin de tendre au pouvoir, l’évite, se fasse une conscience délicate qui se refuse à vivre du public, et une raison saine qui lui dise qu’être en place, ce n’est pas toujours être utile, et que travailler, c’est toujours l’être. Ne demandons pas du pouvoir pour faire le bien de nos concitoyens, chacun de nous a son pouvoir personnel. Le pouvoir communiqué porte avec lui sa destination, c’est un instrument spécial qui fait son œuvre malgré la main et la volonté ; les facultés de chacun sont à sa disponibilité entière. Devenez plus riche, plus éclairé, plus éloquent, plus courageux ; obtenez plus d’amis, plus de clients : voilà la puissance d’un homme libre. »

  À laquelle de ces deux lignées de pensée au sein du libéralisme, la première d’obédience tocquevillienne, la seconde portée aux nues par l’école de Jean-Baptiste Say, va votre préférence ? L’égoïsme commercial est-il, ainsi que d’aucuns le conçoivent, une vertu pour la prospérité matérielle d’une nation et cependant un vice pour sa prospérité morale et politique ?

  Alain Madelin : Les deux approches que vous résumez sont, en effet, très différentes. La critique de Tocqueville pourrait être assurément reprise par l’extrême gauche pour montrer que la société capitaliste dissout le lien social et promeut l’égoïsme. Il est tout à fait vrai que la société industrielle a été destructrice des liens sociaux traditionnels. Quant à savoir si l’égoïsme commercial dissout toute forme de lien social et favorise le repli sur soi, je préfère m’en référer sur ce point à Adam Smith. Dans La Richesse des nations, Adam Smith explique que, chacun poursuivant son intérêt personnel, se met au service d’autrui.

  Cette analyse semble certes donner raison à la caricature du libéralisme comme la croyance que l’égoïsme est le seul mobile de nos interactions sociales. Mais c’est oublier l’Adam Smith de La Théorie des sentiments moraux, écrite seize ans plus tôt, qui montre que l’altruisme – Adam Smith utilisait alors le terme de sympathie – est une propriété essentielle de l’homme. C’est dans l’altruisme, et au travers du regard d’autrui, que nous construisons notre personnalité (ce qui est confirmé actuellement par les découvertes sur les neurones miroirs) et aussi que nous assimilons les institutions sociales nécessaires notamment au bon fonctionnement de l’économie de marché. C’est par le miroir que nous tend autrui, dans les processus mimétiques, que se fait l’apprentissage du langage et, au-delà du langage, l’apprentissage de toutes les règles sociales.

  En un mot, c’est donc à la seconde lignée de pensée, ce que vous appelez l’école de Jean-Baptiste Say, lui-même disciple, exégète et critique d’Adam Smith, que va ma préférence. Une dernière chose.  Vous évoquiez plus haut l’émergence d’une civilisation de la connaissance. Dans un texte de 2006, « la démocratie redevient libérale », j’évoquais déjà cette mutation profonde de notre type de société, le développement de l’interdépendance croissante des hommes, à la faveur de la révolution du savoir numérique. Comme je l’écrivais alors, cette mutation est largement équivalente à la révolution de l’imprimerie de Gutenberg qui, avec la circulation des livres, avait permis de libérer les esprits.

  Nous sortons d’un XXème siècle centralisateur, pour entrer dans un nouveau siècle qui fait moins confiance aux États et davantage confiance aux hommes, à leur liberté, leur responsabilité et leur l’autonomie. Nous arrivons dans cette grande société, cette société ouverte, annoncée par les philosophes. Le vieux monde était centralisé, pyramidal, le nouveau monde, est davantage horizontal et organisé en réseaux. Dans le vieux monde le je veux, j’ordonne, j’exige, réglementait la vie de la société avec un esprit administratif dominant ; dans le nouveau, l’imagination et l’esprit d’entreprise prévalent.

  J’ajouterai, en conclusion de ma réponse à votre question complexe, que ce à quoi nous assistons avec l’avènement de l’économie de l’information et de ses superstructures libérales, ne consiste donc pas en une atomisation de la société mais en une formidable mutation des liens sociaux traditionnels (vers une autonomie et une horizontalité sans précédent dans l’histoire humaine).

  Grégoire Canlorbe : Il se pourrait bien que deux pulsions contradictoires existent en chacun de nous : d’une part, la pulsion conservatrice, celle du vieil homme, qui vénère l’ordre établi ; et d’autre part, la pulsion avide de transgression et de renouveau, celle de la jeunesse irrespectueuse envers la tradition. Sans doute preniez-vous, lors de vos débuts en politique, un plaisir irrévérencieux à siéger à l’hémicycle sans cravate et à promouvoir des idées et mesures libérales dans un pays aux mœurs bureaucratiques profondément enracinées.

  Encore aujourd’hui, avec la « maturité » que vous avez atteinte, diriez-vous qu’une âme de galopin espiègle demeure présente en vous et que c’est elle qui continue d’inspirer vos propos francs du collier et votre combat hardi pour la liberté ?

  Alain Madelin : En 1968, s’agissant de Cohn-Bendit, j’avais alors dit que les jeunes libertaires deviendraient de vieux libéraux. Peut-être les jeunes libéraux deviennent-ils de vieux libertaires ! Plus sérieusement, la dialectique de l’ordre et du mouvement n’est pas nouvelle. Et Bertrand de Jouvenel a très bien montré comment le pouvoir politique en France était dévolu alternativement à un « entraîneur » ou à un « ajusteur », ce qu’il illustrait à travers deux figures marquantes de notre histoire : Bonaparte au pont d’Arcole et Saint Louis sous son chêne. Aujourd’hui, il me semble que dans l’actuelle mutation de notre société, nous avons besoin d’entraîneurs pour favoriser la mutation sociale et d’ajusteurs pour permettre le nouveau vivre ensemble.

bonaparte-saint-louis

Bonaparte au pont d’Arcole – Saint Louis sous son chêne

  Grégoire Canlorbe : Notre entretien touche à sa fin. Aimeriez-vous ajouter quelques mots ?

  Alain Madelin : J’ai trouvé au travers de vos questions une tendance bien naturelle à vouloir présenter le libéralisme comme antagonique de la gauche. Je souhaite, autant que faire se peut, à échapper à ce qui serait pour moi une réduction. Hayek considérait déjà que le vrai libéralisme échappait tant à la gauche qu’à la droite. Et même si j’ai dû, dans mes actions politiques, me situer à droite, je ne pense pas m’être présenté une seule fois comme un homme de droite, préférant toujours l’étiquette libérale.

  Longtemps Facebook a proposé à ses utilisateurs un test, « the world’s smallest political quizz », pour indiquer leur sensibilité politique. En quelques questions, vous vous retrouviez positionné sur un diagramme à deux dimensions, un axe horizontal traditionnel « gauche-droite », une verticale « confiance dans l’individu ou confiance dans l’État ». Je pense qu’un tel cadran constitue une bonne boussole pour nous guider dans le nouveau monde. Et pour peu qu’on y réfléchisse, on trouvera que l’essentiel du nouveau monde se construit dans le triangle supérieur, représenté par ces trois points : gauche, confiance dans l’individu, droite. C’est là le véritable espace des libéraux.

  Par contraste, il est facile d’observer que l’essentiel de la vie politique française se situe dans le triangle inférieur : gauche, confiance dans l’État, droite. Une reconfiguration est nécessaire et inéluctable. Cessons donc de voir dans les libéraux une colonie de la droite et d’opposer la gauche aux libéraux. Le mot « libéral », dans l’un de ses premiers sens historiques, ne signifie-t-il pas « généreux » ?

G&L -542  Grégoire Canlorbe, un journaliste, vit actuellement à Paris. Il a mené différentes interviews pour des revues telles que Man and the Economy, fondée par le lauréat du Prix Nobel d’économie Ronald Coase, Arguments, ou encore Agefi Magazine ; et des think-tanks tels que Gatestone Institute. Contact : gregoire.canlorbe@wanadoo.fr

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« Free to Choose » de Milton Friedman enfin en français

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Chers amis,

Je me souviens d’un été qui a marqué ma vie. C’était en 2008 et je sortais tout juste de la terminale. Voulant occuper mes vacances, je suis tombé, un peu par hasard, sur la série « Free to Choose » de Milton Friedman, que j’ai visionné entièrement. C’est une expérience rare. Les arguments de Friedman sont si limpides, si pertinents à chaque fois, qu’on ne peut manquer d’accepter ses vues et de rejeter toutes les idées socialistes et interventionnistes. Quand je me repenche sur cette époque, je reconnais que cette série de vidéos a participé, plus que tout autre chose, à faire de moi un libéral et surtout à me donner envie d’œuvrer pour mes convictions. C’est la meilleure porte d’entrée au libéralisme. Seulement elle n’existe pas en français, et avec 274 millions de francophones dans le monde, c’est un manque terrible.

« Free to choose », une série qui fait l’unanimité

En évoquant la question autour de moi, j’ai remarqué que je n’étais pas le seul à avoir été frappé des qualités argumentatives et pédagogiques de « Free to choose ».

« Écouter et suivre Milton Friedman dans les débats a toujours été pour moi une source d’inspiration et de formation au raisonnement économique. Il avait une espèce “d’oreille absolue” du raisonnement économique qui le rendait exceptionnel dans le monde des universitaires “es sciences économiques”. Les vidéos de Milton Friedman méritent d’être diffusées pour beaucoup de raisons mais surtout pour une pensée libérale claire exposée très simplement avec un art de l’argumentation au dessus des normes habituelles que l’on trouve parmi les spécialistes des joutes intellectuelles. » — Bertrand Lemennicier

« Je me souviens que Milton Friedman m’avait dit qu’il était surpris et peiné que la France soit le seul pays — parmi les pays importants — où la télévision n’ait pas accepté de diffuser son œuvre. […] Il avait un talent incomparable pour rendre très compréhensibles les problèmes les plus complexes et c’est pourquoi son livre Free to Choose et la série vidéo correspondante ont été appréciés par un grand nombre de personnes dans le monde. » — Pascal Salin

« Free to choose est un chef d’œuvre de vulgarisation, d’humour et d’intelligence. » — Corentin de Salle

« La vidéo du crayon, où Milton Friedman décompose les multiples facteurs qui ont contribué à sa fabrication, a atteint le statut de mythe. C’est la version moderne des épingles d’Adam Smith. » — Gaspard Koenig

« Friedman n’est pas d’abord un libéral, c’est un immense savant. Et c’est cette science qui en fait un adepte des solutions “Free Market”. […] Mais c’est aussi l’extraordinaire pédagogue que l’on sait. Comme un Bastiat ou un Boudon en sociologie il explique les notions les plus ardues par la trilogie sujet, verbe, complément. Et pour arriver à être le Jean de la Fontaine de l’économie il faut dominer sa discipline à un point où l’évidence de la vérité tient la première place dans la hiérarchie de l’important. Votre initiative est de salut public. Il faut la prendre et la soutenir pour cette raison et pour bien d’autres. » — Serge Schweitzer

« Quand je pense à Friedman je pense à son sourire. Ce sourire que l’on remarque immédiatement dès les premières minutes de “Free to choose.” Un sourire qui exprime deux choses. Il nous dit tout d’abord le désir qu’il a de communiquer ce qu’il sait et qu’il a compris de l’économie et de nos sociétés. Comme s’il venait nous annoncer une bonne nouvelle. Le sourire de l’enfant et du scientifique émerveillé en quelque sorte. Mais c’est aussi un sourire un peu malin.  Car il connaît toutes les objections que ses collègues intellectuels vont dresser à l’encontre de ses thèses et il tente d’y répondre. Ce sourire est un excellent ambassadeur pour les idées de la liberté. Imitons le ! » — Pierre Garello

Pourquoi la traduction, engagée bénévolement en 2011, n’a pas eu de suite

En 2011, le projet de traduire cette série de vidéos, très célèbre et à juste titre, avait émergé au sein de l’Institut Coppet et avait été engagé dans des conditions qui n’ont pas permis de le poursuivre : les traducteurs bénévoles, trop peu expérimentés, et trop occupés par ailleurs, étaient incapables de faire avancer le projet au rythme souhaité, et nous avons calculé finalement qu’il nous fallait 6 mois pour produire un épisode, ce qui, pour 10 épisodes, faisait un horizon très lointain.

Nous avons dû reconnaître que le travail d’édition des sous-titres à proprement parler était extrêmement fastidieux pour des vidéos aussi longues et comportant autant de texte ; il rebutait tous les bénévoles. Or la traduction à elle seule représentait déjà un grand travail : bout à bout, il s’agissait de traduire un texte de 80 000 mots, ce qui couvrirait un livre de 200 à 300 pages. — Compte tenu de ces difficultés et du peu de ressources que nous avions alors, seules 2 des 10 vidéos ont été publiées sur YouTube ; elles comptent environ 20 000 vues.

Épisode 1 : Le pouvoir du marché Épisode 2 : La tyrannie du contrôle

Depuis, l’Institut Coppet s’est développé et se trouve en capacité de poursuivre le travail qui avait été commencé. Nous avons d’ores et déjà planifié la traduction et la mise en ligne des 8 épisodes restants, qui se fera entre mars et juin 2018.

Aujourd’hui, nous avons besoin de votre aide

Pour permettre un travail de qualité professionnelle et un investissement complet des traducteurs, nous avons besoin de 3000€. Cette somme permettra : 

* L’achat des DVD originaux, pour produire une vidéo sous-titrée en qualité DVD : 70€ frais de ports compris.

* La traduction des scripts des 8 vidéos restantes. Pour la rémunération de traducteurs sélectionnés pour leur expérience et qui ont tous déjà traduit et publié un ouvrage en anglais : 300€ par épisode (environ 8000 mots chacun), soit au total : 2400€

* Le séquençage des sous-titres dans les 8 différentes vidéos (plus de 1000 lignes de sous-titres à ajouter et à séquencer par vidéo), réalisé par un monteur expérimenté : 500€ pour l’ensemble

Votre aide nous permettra d’achever en 8 semaines, au rythme d’un épisode par semaine, un travail de traduction qui nous aurait pris, dans d’autres conditions, près de 4 ans. Elle permettra surtout d’obtenir une traduction impeccable, revue et corrigée à plusieurs reprises, pour cette série qui le mérite tant.

Depuis plusieurs années déjà, l’Institut Coppet met en œuvre des projets d’envergure pour faire gagner nos idées. Avec les éditions de l’Institut Coppet, par exemple, plus de 130 livres ont paru, dont les Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, des traductions inédites de Hayek, Rothbard ou Mises, et, très récemment, les Œuvres de Turgot, qui sortent le 8 mars prochain et dont la version électronique complète (plus de 3000 pages) est gratuitement disponible sur notre site.

Nous comptons donc sur votre soutien pour ce nouveau projet majeur. Aidez-nous à fournir au public francophone, à travers le monde, la série « Free to Choose », dont la valeur et la force de persuasion ne sont plus à démontrer.

Comment donner

Vous pouvez nous envoyer un don, de montant libre, sur le compte paypal de l’Institut Coppet :

paypal.me/InstitutCoppet

ou de même, par chèque, à l’ordre de l’Institut Coppet, et à l’adresse postale suivante :

Institut Coppet
43 avenue de la Marne
59700 Marcq-en-Baroeul

Nouveau : Nous acceptons aussi les bitcoins :

3NoNzQeekVd8dQ2YZ6x83MBD2hWjdNsCMA

 

Je vous remercie par avance pour votre soutien,

Benoît Malbranque
Président
Institut Coppet
benoit.malbranque@institutcoppet.org

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